mercredi 5 octobre 2011

Les grues sont vivantes


Depuis que je vis une vie extra-muros, extra-périph, je suis un peu extra-lucide. Je lève à nouveau le nez au ciel ! La lumière frappe mes cônes et mes batonnets scintillent. Je me goinfre du bleu ouvert du ciel de banlieue, de cet air à perte de vue. Il se découpe de cités en friche, de plaines de pavillons-cubes. Et de grands oiseaux d'acier vivants, qui tournent lents avec le vent. Ce sont les grues jaunes des chantiers sans nombre. Cadres fragiles de fines cellules de métal, de câbles souples ou tendus au milieu desquels se croisent les horizons. Regardez, là dans l'écran dessiné par le T du mât et de la flèche. Suivez les ces girouettes géantes qui jouent du bec sur une seule jambe. Tout en silence. Dans le quatre par trois de la photo, elles tranchent en parts inégales la masse des nuages moussus. Elles créent des triangles à partir du flou.

Croyez-vous vraiment qu'elles ne servent qu'à lever des matériaux ? Quand est-ce que pour la dernière fois vous avez pu apercevoir le moindre objet se balancer au bout de leur câble ? Les grues sont des oiseaux extra extra extra terrestres débarqués de soucoupes en kit. Montées dans la nuit en cachette des hommes, elles en prélèvent à leur faim un ou deux éléments, quand elles sont sûres que les autres ont le dos tourné. Elles les digèrent dans leur estomac-bétonnière, située à la base de leur long pied. Bien malaxé et mêlé de sable, d'eau et de graviers gris, elles les tassent en petits pâtés d'immeubles. Des réserves pour l'hiver grutier. Elles reviendront un jour les chercher, à coups de masse balancée de leur crochet affamé par le jeûne !


Les grues veillent au grain


Elles font des bébés grues qui se déplacent timides sur leurs chenilles toutes neuves. Comme elles sont choux les petites grues-grues avec leurs mini moufles et leurs poulies qui couinent ! Elles appellent leurs grandes mamans grues-poules. Qui ne les quittent jamais du treuil ! Oui les mamans grues veillent au grain. Sur leurs petits. Et sur les humains. A ce qu'ils s'activent pour fournir la matière qu'elles sont venues chercher. A ce qu'ils mangent, les hommes, à ce qu'ils boivent. A ce qu'ils aient faim et soif ! A ce qu'ils se rencontrent, à ce qu'ils se quittent. A ce qu'ils réfléchissent. A ce qu'ils s'aiment. A ce qu'ils s'enthousiasment. A ce qu'ils brûlent. A ce qu'ils désespèrent. A ce qu'ils emménagent. A ce qu'ils déménagent. A ce qu'ils construisent. Ici. Là. Elles ont faim, les grues. Elles ont besoin qu'on les nourrisse. Elles ont besoin de leurs bactéries humaines pour vivre. Elles ne disent rien et girent sans un mot. Elles embrassent l'autour, leurs trois cent soixante degrés. Elles se saluent. Mais elles s'ennuient les grues. Terriblement.
Quand nous dormons tous sur nos deux oreilles, les grues traînent leurs flèches alanguies, clignant d'un oeil aux avions de la nuit. Les grues sont prises d'insomnie.

Parfois de désespoir, de vieilles grues se laissent choir, emportant avec elles leurs hôtes humains. Les tempêtes les bousculent. Les tempêtes les chavirent. Les tempêtent les terrassent. Elles s'abandonnent et nous emportent. Elles nous laissent tomber dans notre faim de murs, de tours, de maisons, de vies fraîches en béton neuf.

Les grues s'ennuient, ne dorment plus, et sans elles nous ne saurons plus nous construire !


A murs, grues et béton


Voilà ce que je devais vous dire. Nous devons nous humains, pour notre salut, fournir à nos grues jaunes, blanches et rouges des distractions. Ca urge ! Avant que les grues pètent un câble et nous dévorent sans discernement, cadres blancs et ouvriers bleus. Avec ou sans casque, on paiera le prix fort.
Elles pourraient bien aussi décider d'un coup de tête, de se casser, de se carapater comme ça. Direction leur planète. Elles laisseraient nos ciels vides et nos banlieues abandonnées. Sans l'effervescence immobilière appelée par l'espace sans limite de l'autour. Faisons quelque chose pour les grues ! Décorons les, offrons leur des écrans plats de mille pouces, avec des feuilletons de grues amoureuses, de grues qui courent après les méchants, de grues qui baisent sauvagement, de grues drôles qui se racontent des blagues de chantier ! Diffusons à leur sommet des opéras rock qui swinguent ! Elles aiment ça quand ça balance ! Aimons les grues ! Aimons les grues ! Vivent les grandes grues jaunes qui girent dans les ciels de banlieue !


vendredi 2 septembre 2011

La jolie houri du Monoprix


Quand je l'ai vue les deux-trois premières fois, nous étions encore en hiver et elle portait un col roulé vert en laine à grosses mailles. Je passais, je la remarquais. On était samedi matin, ma tête était pleine de coton, ma bouche pâteuse et mon estomac gargouillant. Et surtout je pensais encore à une autre. Mais au fil des semaines, je m'étais mis à m'imaginer assez d'audace pour l'aborder, cette petite mignonne. 

La houri, une brune de paradis


Une brune avec des taches de rousseur sous les yeux. Est-ce que ça existe ? Il faut croire. Quand il faut choisir au Monop, la tête épaisse des excès de la veille, la bonne file. Je ne traîne jamais pour faire ces foutues courses, alors qu'à la fois j'ai tout mon temps pour m'écarter de la routine. La queue qui ira le plus vite ? Pas de petite vieille. Une caissière expérimentée qui ne jacasse pas avec les clients. Mais là je m'en fiche pas mal d'optimiser mon attente à la caisse. Sur d'autres critères, je me place devant la numéro 3. Jeune et brune, très brune. Des yeux de jais derrière des lunettes à bords épais. Et une poitrine qui doit faire dans les 85C sous son t-shirt blanc. De longs cheveux bouclés, une vraie crinière, et un sourire pailleté de ces fameuses taches de rousseur. J'ai tout mon temps pour l'observer, lui trouver assez de timidité, cette dose de maladresse qui si souvent fait vibrer ma corde sensible. Je suis touché aussi par la musique des rires qui s'échappent, lorsqu'elle passe les achats sur le faisceau du lecteur de code barres. Le mot de houri me vient sur les lèvres (et sur les rêves aussi ; empoisonné de la lecture d'un Nicolas Bouvier, je me crois grand voyageur de quartier)... quand j'attrape le blanc de ses yeux relevé par son teint mat. J'ai cru entendre qu'elle s'appelait Samia.

Quand vient mon tour, elle sourit elle me jette des petits regards elle glousse elle pouffe elle maintient le contact visuel. Je lui ai fait un compliment sur sa nouvelle coiffure l'autre jour. Depuis elle me reconnait, montre un embarras joyeux. Elle fait des mines et c'est ravissant. C'est le printemps et mon détecteur d'attraction plus fonctionnel que jamais fait tilt tilt TILT, mais oh TILT que je te dis. Seulement voilà...

Seulement...


Seulement, mes yeux glissent et reglissent sur ses avant-bras dénudés. Leur couverture pileuse reflète cette longue chevelure ondulée qui me plaîsait tant. Ce sont de longs fils de laine noire qui font de mes propres bras ceux d'un adolescent pré-pubère. J'exagère, je m'en veux. Inutile de se voiler la face. C'est trop tard! Ma réaction est automatique, instinctive, inévitable.

Tous les samedis, je retourne plein d'espoir à la caisse 3. Tous les samedis, dans le coltard, je me dis cette fois, je vais faire un pas. Un de plus. Elle aura plus ces poils sur les bras, c'est sûr j'avais du mal voir. Hélas ô grand hélas tel Sisyphe qui benêt voit rouler pour la dix milliardième fois sa pierre du haut du sommet je repars, sacs en plastique à la main, avec en guise de souvenir une des ces boules à neige : sourire radieux, regard allumé de la jolie caissière. Et en guise de flocons, une pluie de poils noirs. Je secoue la tête et tout redevient sombre. A la semaine prochaine, Samia. Je ne suis pas fier de ça, mais t'as vraiment trop de poils pour moi.

jeudi 25 août 2011

Le barbecue au bord du fleuve


Un lundi de juillet, j'invite quelques collègues et amis aoûtiens (voire pour certains, carrément abstinents des vacances) à profiter de ce grand luxe de ma vie banlieusienne : le barbecue. Une astuce aussi pour appâter les habitants du petit P. jusqu'à ma capsule spatiale au bord de la N7.

Derrière la maison


Tout doit tenir dans une cour grande comme un mouchoir de poche, derrière une véranda aux carreaux verts cassés. Le long du grillage, entre la rue et la cour s'étend une bande de terre, de pas plus d'un mètre de large sur quatre de long, que ma voisine Mélanie a transformé en jardin avec un petit j. Quand même, les pieds de tomate y poussent comme des haricots magiques, s'étirent vers les nuages le long des piquets de fer. Les fruits commencent à rougir et l'on en cueille une poignée, assez pour accompagner les premières gorgées de bière.

Ils arrivent, les gens. Les yeux qui roulent en découvrant l'arrière de cette maison à la façade noircie par les gaz d'échappement. Chacun dépose sa contribution, contenue dans un sac aux couleurs du super choisi : des bières allemandes, de la bidoche pour les brochettes, des merguez, des légumes (tiens pourquoi pas), des fraises, encore quelques merguez.

Je retrousse mes manches, il faut y aller. Les pépites de charbon de bois tintent en chutant du sac. Là, ça devrait suffire. Je souffle. J'attrape le calendrier géant qu'on m'avait offert en janvier et dont je viens enfin de trouver l'utilité : sous l'action de l'éventail improvisé, la braise rougit, contamine chaque morceau de charbon. C'est parti. J'intronise T. pour qu'il tienne le feu pendant que je me démène ailleurs, une bière à la main que je pose, perds de vue, confonds avec la bière d'un autre. Mais ça coule, pareil.

La Paulaner dans le gosier, on commence à mâcher les brochettes presque cuites ou déjà un peu charbonnées. N. les a patiemment épicées au Ras el Hanout et aux herbes. Ca n'empêche pas la moutarde ou le ketchup, entre deux tranches de pain. T., qui réserve ses pulsions agressives pour les végétaux, se contente de poivrons, de tomates et de champignons.

Un peu coincés sur la surface de béton, on tient tous là au prix de quelques acrobaties, à se raconter doucement nos vies sociales entre deux chips, nos boulots, nos errances, à rouler des épaules ou gonfler la poitrine, à se sourire et se blaguer. Dans le cocktail bien tassé, on trouve une famille coréenne, un teuton mangeur de légumes, une nordiste fraîchement arrivée de Belgique, une chercheuse marocaine, une voisine de Perpignan...et ma pomme. Pour ce petit monde, ça sent comme les vacances, juste là au bord du fleuve de bagnoles. Et pour ne pas l'entendre le flux automobile, on a sorti le radio-cassette à la papa qui crache du jazz bien cool.

Le chat des voisins


Par l'odeur de merguez alléché, voilà le chat blanc des voisins qui ramène son museau taché de noir. Il se faufile dodu mais souple sous le grillage. Ses miaulements réclament son dû, sa part de félin parasite. Oh la mauvaise surprise : les enfants de Mowgli lui mettent sous le nez des morceaux de champignon grillé. Alors il fait la moue, se cache sous une des chaises en plastique blanc et commence à sortir les griffes. Ca suffit pour que les petits d'homme se décident à fiche la paix au fauve.

La nuit est bien tombée maintenant. Sans s'en rendre compte, on a laissé les braises refroidir et les quelques brochettes restantes sur la grille ne sont que tièdes. Un sweater sur le dos, on goûte en silence les fraises trempées dans le sucre. Quelles sont les meilleures ? Celles du Franprix ou la production locale, juste à nos pieds ?

Le parisien se dit qu'il va devoir rentrer. Il lève le nez au ciel, entre les fils électriques. “Dis donc, on voit les étoiles, ici.”.

mardi 16 août 2011

La branche invisible


Coincée à la fourche du métro à Pont-De-Craie, entre les branches bleue et jaune vers les villes orbitales, elle attend. Valise à roulette à la main.
Cette femme scrute dans le tunnel l'arrivée de la rame pour la troisième branche. Celle qui la sortira de cette galère. Cette troisième branche incolore, invisible. Ce train qui doit venir, qu'on attend comme Godot. Il ne devrait plus tarder.

Je l'ai connue allongée sur le muret carrelé entre deux chaises baquets pvc. Recroquevillée sur des journaux qu'elle avait étalés, dont la couverture titrait : Objectif Emploi.fr

Attendre


Depuis un mois cependant, je la retrouve, toujours dans cette même station mais d'apparence changée. Son visage n'est plus crispé de douleur comme avant, ses vêtements sont propres et sa coiffure soignée. Une paire de lunettes lui tient les cheveux et elle semble apaisée, à pousser une petite valise à roulettes par le bras téléscopique. Elle ne s'assoit même pas entre les chaises de plastique, sur les carreaux à la propreté douteuse. Non, elle attend patiemment. Un métro arrive dans la station. Sur son flanc, c'est le panneau jaune du Soulis qui est allumé. La moitié des places assises sur le quai se vident alors de passagers qui entrent dans la rame. Elle s'assoit sur un siège libéré. C'est le balai usuel ici : ceux qui restent attendent pour l'autre branche. Et c'est comme ça que la dame à la valise passe inaperçue, une passagère comme une autre, sans besoin d'alibi pour sa présence ici.

Fermer les yeux, se boucher les oreilles, se pincer les narines et se taire


Tous les jours je passe par cet arrêt, ce quai, pour rentrer chez moi. Quand je vois une femme d'âge mûr à la rue comme ça (et ce n'est pas si rare dans P.) je pense parfois que je pourrais la connaître. Qu'elle pourrait faire partie de ma famille. Qu'il suffit de si peu. J'en ai vu déraper, se rattraper de justesse, plus d'une fois.

J'aimerais lui parler, mais de quel droit ? Avec la seule légitimité de ma curiosité ? Pour connaître son prénom, le son de sa voix – elle n'ouvre jamais la bouche. Entendre une histoire possiblement dure ou cruellement banale. Et finir par soupirer, lui donner une tape sur l'épaule : “Je suis vraiment désolé. Je ne peux rien pour toi.”. La curiosité satisfaite, des notes mentales ou écrites pour pondre une note de blog ou alimenter la conversation à la pause café, s'impatienter... “Maintenant je vais rentrer, je viens de télécharger un film culte : Les Amants du Pont Neuf, tu connais ? Avec Juliette Binoche ? Une histoire d'amour romantique, tellement belle de deux paumés sans abri. Et un magnifique feu d'artifice.” Et puis ciao.

La revoir les jours suivants, ne pas oser ne pas lui dire bonjour, lui demander des nouvelles. Ne pas en entendre de bonnes. Bref, devoir assumer un peu de tout ce merdier. Au lieu de glisser, trop heureux d'échapper à ces sorts peu enviables. Et quand même, parce que ça travaille, être tenté par la facilité. Insensiblement, choisir le côté du quai où elle n'est pas. Voire changer de station. Ne plus vouloir s'arrêter en tout cas. Passer son chemin, comme tout le monde.

jeudi 11 août 2011

La médiathèque Gorki


Flambant neuve toute en bois clair, elle fait l'angle avec le marché couvert. Sur la place, des travaux que je n'ai pas vu progresser d'un iota depuis mon arrivée. Seul changement depuis novembre dernier : des dessins et photos décrivant le futur radieux de l'endroit décorent les palissades. On est quoi, cinq ou six, à attendre l'ouverture de la médiathèque, assis sur le muret, dos aux tôles ondulées et face à la porte, une après-midi ensoleillée de la mi-juillet. Pendant ce temps, des sales gosses balancent mammouths et cobras qui explosent devant nous, avant de déguerpir sur leurs BMX. Les petits cons.

Luxe, calme et volupté


A quatorze heures trente, on ouvre. Passé une espèce de sas où s'affichent les animations du lieu, une porte automatique silencieuse vous laisse vous glisser par un portique dans un espace haut de plafond. Parmi les quelques visiteurs qui arrivent plus nombreux maintenant, plutôt du plus de trente ans, plutôt des femmes. Je me vois dans une autre vie ado à Bonmaure, prenant mes quartiers dans cette médiathèque lumineuse, où l'on vous accueille dans le calme, où l'on vous inscrit pour pas un rond et où les quota de livres, BD, CD, DVD me semblent plus généreux qu'ailleurs. Je flâne, j'observe un temps les employés s'affairer à trier, transvaser les ouvrages des bacs aux rayons, tapoter sur leurs claviers avec un calme de moine copiste. Je constate une ou deux minutes que le cliché de la documentaliste à lunettes fonctionne très bien sur moi. Ca ne laisse pas de m'étonner, comme je tombe facilement dans ces séductions prêtes à consommer. Surprise, la myope bat des cils par dessus ses verres. Alors je monte à l'étage.

Pyongyang


Là, je cherche en vain 'Pyongyang' de Guy Delisle dans les stocks fournis de BD. Si je me souviens de ce qu'on m'a raconté, c'est l'histoire d'un dessinateur français, en voyage en Corée du Nord pour son boulot. Car, paraît-il, on y fait faire le travail de petites mains pour les animations. Un coup d'oeil à la base bibliographique sur un des terminaux : non, ils n'ont pas. C'est là que je me souviens... Quelqu'une m'a dit qu'on pratiquait la censure dans le choix des bouquins à Bonmaure, à cause de la municipalité communiste. Des histoires tout ça.



Voilà le choix est fait, je redescends de la mezzanine vers le comptoir de prêt. J'y crois à peine : quelques coups de douchette sur les codes barre et je repars mon sac à dos plein de BD (notamment Klezmer de Johann Sfar), de DVD (Hou Hsiao Hsien, je découvre), de CD (Wu Tang Clan, sous l'influence de mon beau frère). Et avec ça un roman, un seul (que j'oublierai vite). Pas d'images : je me connais je risque de mettre des plombes à le lire, de ne jamais le rendre, de le perdre possiblement, de me faire ficher par les bibliothécaires. Qui pourrait vouloir ça ?

Quelle belle pêche quand même. Sur la place le soleil donne encore sur la ville vide. Sous mon crâne aussi, c'est vide, délicieusement vide. Je n'ai rien à faire, qu'à traverser cette place de village éventrée par les projets municipaux. Et peut-être me taper une bonne BD à l'ombre, comme si j'avais quinze ans. La bière fraîche en plus à la main. Quand d'un coup ça détale et ça crie. Et re : Bonmaure résonne sous les coups des pétards. A l'heure de la sieste !

mardi 9 août 2011

Le hackerspace : (1) première expédition dans la ZAC


On m'avait parlé de ces créatures. Etranges animaux dont les orbites luisent de diodes clignotantes. Des types pas lavés tous en t-shirts noirs trop grands. En cheveux longs et petites lunettes qui parlent en l33t (une langue de techos) et qui refont le monde en loussedé dans les réseaux cachés du regard du Big Brother. Frère geek ou nerd, on allait ce soir-là te dénicher dans ta tanière. Un squat où l'on bricole des PCs et des robots, au milieu d'une zone industrielle du pourtour Sud. Avec moi, j'avais entraîné deux lascars curieux de tout, un peu geekos eux-mêmes, étonnés de cette idée de soirée dans le no-man's land d'une zac de banlieue.

Des boulevards vides sous un ciel trop vaste


Au sortir de la gare de RER, il faut bien marcher un quart d'heure avant d'arriver au numéro indiqué. A cette heure, la zone industrielle est déjà vidée de ses acteurs. Les seules traces de vie se trouvent au Cool Kart et au PMU anonyme encore un peu plus loin, le troquet portugais du carrefour. On s'arrête cinq minutes au bar du karting, le temps de se laisser hypnotiser par quelques boucles du circuit, le nez collé à la vitre. Mais on n'est pas venu pour ça. Il faut qu'on s'aventure un peu plus vers les enclos industriels.

On longe des palissades interminables sur l'avenue désertée. Des forteresses appartenant à de grosses machines à fric, certaines cotées au CAC40. Notamment, le bastion grillagé, vidéo-sécurisé d'une entreprise pharmaceutique bien connue.

Voilà ce qu'on cherche : un entrepôt abandonné, un peu plus loin en suivant un chemin boueux.
Une radio crachouille de la musique et laisse filer un rai de lumière au travers de la première porte. Je m'avance et un barbu souriant vient vers moi une bouteille de bière à la main. J'aperçois derrière lui un canapé défoncé et tout un fatras de toiles et de papiers. C'est un atelier d'artiste. Et sans nous inviter à nous joindre à eux, il me conseille la porte à côté.

On pousse donc un peu plus loin, tâtonnant pour trouver la porte d'entrée du hackerspace. On la repère, en bas d'un escalier discret à la rambarde déglinguée. Personne. On se regarde. Il est un peu tôt encore. Je répète que je n'ai pas pu les joindre, les gaillards. Pas de réponse à mon e-mail leur demandant s'ils seraient là ce soir, comme tous les jeudi. On a un pack de binouzes à la main, alors je propose de poursuivre l'exploration en attendant. De faire le tour du bâtiment.

Les sabbaths secrets des codeurs


Derrière l'entrepôt, les herbes ont envahi le terrain vague. Une terrasse improbable faite d'un seul bloc de béton s'y élève légèrement au-dessus des palissades graffitées alentour. On remarque un barbecue mangé par la rouille. Il laisse deviner la possibilité de sabbaths insoupçonnés des gens du commun. De ceux qui ne mettent pas les pieds à l'extérieur du périph, comme de ceux qui, employés de la zone, sont rentrés chez eux à cette heure.

L'heure tourne et les bières roulent, pas un hacker en vue. On reviendra un autre jour...le train nous attend sous un ciel de traîne rougissant que l'objectif de T. attrape.

Clic. Reclic. Il ouvre les bras : “Eh mais c'est magnifique ! Regardez-moi tout cet...espace !”.

vendredi 5 août 2011

Le mystère des auberges coréennes: (2) le monde caché du matin calme

Vous ne les remarquerez sans doute pas, quand vous passerez égaré dans Bonmaure. Ces signes cabalistiques verts sur de petits panneaux blancs, disposés près de la sonnette ou plus rarement, peints sur les volets du garage. Ils sont discrets et indéchiffrables...visibles aux seuls initiés.


Ces signes-là sont des caractères coréens. Des signes auxquels l'oeil de l'habitant du Sud n'est certainement pas aussi habitué qu'à ceux des idéogrammes chinois, omniprésents depuis Chinatown et qui se raréfient lentement en s'éloignant de P. Ils indiquent la présence dans telle ou telle maison d'un gîte à destination de leurs compatriotes. Des touristes venant de la péninsule pour visiter la Pheu-lan-seu.

Et, non, ce ne sont pas les amicales communistes locales qui, en souvenir du temps des copains au petit père des peuples, hébergent des touristes de Pyongyang (la capitale de la Corée du Nord, exotique dictature stalinienne, à visiter rapidos). Pour commencer, on ne voit pas comment ils pourraient arriver jusqu'ici ceux-là, coincés qu'ils sont par l'étreinte aimante de Kim Jong Il – dans la famille Kim, je demande le fils-.


En réalité, d'après mon ami Mowgli, ce sont des associations liées aux églises évangélistes, très puissantes en Corée du Sud, qui gèrent ces auberges clandestines. A nos yeux.

D'après ce que j'en vois, beaucoup de ces sud-coréens sont...des sud-coréennes. Ou c'est peut-être moi qui filtre... Des étudiantes qu'on entend venir du coin d'une ruelle derrière un pavillon. Leurs valises à roulettes cuicuitent dans la côte à la recherche d'un de ces refuges discrets. Elles ont l'air inquiètes et pressées, les yeux rivés sur une feuille A4. Où elles déchiffrent le plan imprimé à Séoul et soigneusement protégé d'une pochette plastique.

Je souris à l'idée que dans quelques années, leur souvenir du voyage à P. sera associé à Bonmaure. Avec son fleuve de voitures et ses grues qui veillent au grain sur le troupeau de pavillons. Avec ses rues abandonnées dès huit heures du soir. Oui où même les kebabs hésitent à tirer le rideau dès la fin de l'après-midi. Avec son drive-in Mac Do à la française, pour se rattraper. Et surtout, surtout, avec ses matins calmes à l'écart de P....

mercredi 3 août 2011

La sente Pergolèse : (1) une sortie dans l'hiver


Il faisait un froid sec sous un ciel clair de décembre. Arrivé là depuis deux mois seulement, j'osais enfin une sortie nocturne dans l'apesanteur de mon nouveau quartier ! A quoi ça pouvait bien ressembler, autour ? Du côté ouest du boulevard, le bourg qui commençait à être familier, avec son mélange de village et d'immeubles à locataires modérement riches. Et surtout, pour moi, les deux supermarchés, le Fran ou le Mono – prix. Non, la véritable terra incognita se situait du côté ouest, sur la colline qui plonge vers le Carreau.

J'avais empoigné mon cardigan noir décousu, enfilé uné écharpe, attrapé au passage la laisse du chien, cherché en vain la bestiole...suis-je bête ! Jamais je n'avais eu d'animal ! Tant pis, j'allais me sortir moi-même. De toutes façons j'en avais besoin. Sorti sur le boulevard, je prenais la rue perpendiculaire sur ma gauche.

La nappe pavillonnaire


Sur les trottoirs baignés des flaques jaunes gouttées des réverbères, je n'entends que mes pas qui font croustiller les graviers. Silence. Seule la vibration basse des nationales au sommet et en contrebas de la colline s'engouffre dans les rues abandonnées. Quelques bagnoles roulant au pas tâchent de se faire discrètes.

Je dessine dans le froid des fantômes de buée aussitôt évanouis. Très vite, en fait juste après le panneau annonçant la commune du Carreau, une ruelle étroite (piétonnière ?) et arborée s'enfonce au sein de la masse pavillonaire dans la direction de la pente. Dans la sente Pergolèse, les palissades ajourées semblent abriter les jardins de résidences secondaires. Pas un chat. Ou plutôt si, un seul, couleur caramel, appelé par son maître qui m'interpelle. Le type est un peu éméché. Il cherche l'autre, le noir et blanc, pour le peigner. Pas vu, désolé.

Noël au jardin


En poursuivant mon chemin je tombe sur une maison en bois, là où la venelle se fait un peu plus large. Des chaises en plastique blanc dorment couchées sur la table du jardin. Devant une autre bicoque, de plain-pied celle-ci, un canapé éventré et quelques chaises rouillées près du barbecue. On oublierait facilement qu'on se trouve en banlieue de P. On s'imaginerait volontiers que ces salons de jardin pvc attendent l'été et le retour des propriétaires dans leur villégiature.

Au moment où les arbres griffus se font moins denses, le champ de vision s'ouvre sur la nappe clignotante de la plaine du Carreau. A perte de vue, des loupiotes blanches et dorées font écho aux guirlandes électriques sur les toits des maisons, et juste au-dessus, à la voûte du planetarium de plein air. Eh mais c'est Noël ! Je scrute le ciel pendant quelques minutes...pas d'étoile filante. Une autre fois peut-être ?

lundi 1 août 2011

Le salon de thé de la boulangerie chinoise


Un dimanche matin, au retour d'une nuit blanche. Je sais très bien que chez moi les placards sont vides. Pas de café, pas de thé, pas de pain. Pas de femme qui attend pour me demander des comptes (parce qu'elle m'aime, évidemment). Je me dis ça, je souris. Et je m'arrête à la sortie du métro, à ma boulangerie chinoise préférée. Le carillon y annonce les clients, même ceux d'à peine un mètre de haut dont Mme Li n'aperçoit que le sommet du crâne lorsqu'ils se collent à la vitrine de bonbecs. C'est un autre carillon qui sonne dans son français, à ce petit bout de femme de Shanghaï lorsqu'elle lance son bonjour d'un sourire lumineux.

Nihao ! Xièxie !


Un temps je m'étais mis en tête d'apprendre le chinois. Oh, ça n'a pas duré longtemps. Mais enfin, c'est là, au salon de thé que j'avais étrenné mes premiers “nihao” (bonjour) et “xièxie” (merci) qui la faisaient beaucoup rire.
Leurs enfants aussi apprennent le chinois. Tous les samedis après-midi ils vont à Bonmaure suivre les cours privés pour les enfants de la communauté. Après-tout ils jouent déjà le rôle d'interprètes pour leurs parents.

Cette lubie passagère, de me frotter à cette langue où le chant se mêle des mots eux-mêmes, c'est elle qui me menait là pour acheter un mauvais croissant. Je faisais un peu la conversation. Trois mots sur la Chine. Sur ce film “I wish I knew” qui dépeint un Shanghai des années trente jusquà nos jours. Ils ne l'avaient pas vu. Je doute qu'ils mettent jamais les pieds dans une salle de ciné.



Pour se défendre


Je n'y vais plus si souvent chez les Li. J'aimais aussi me poser derrière la claie habillée de lierre en plastique, dans le petit coin salon. Pour récupérer d'une soirée d'abus, à coup de thé vert et de viennoiseries en toc. Avec en prime le spectacle des passagers souterrains qui émergent de la bouche ou s'y engouffrent. Oui, des croissants, pains au chocolats en papier et carton. Parce que bon, sans mentir, ça pèche un peu du côté du palais. Je ne suis pas sûr que ni monsieur ni madame ne consomment beaucoup de leur pain, viennoiseries et autres spécialités industrielles réchauffées dans l'arrière boutique. Peut-être les enfants, avec une moue polie ? Pour ne pas fâcher...

Mais vraiment est-ce que ça compte tant que ça ? Je crois bien qu'ils s'en fichent pas mal du goût de ce qu'ils vendent. Et bizarrement, je pardonne. On peut trouver ça moche c'est sûr, de venir de si loin pour regonfler de la pâte en plastoc au pays du pain. Et quoi ? Ils se défendent et c'est tout. Si demain ils devaient vendre des bouts de tissu, de la maroquinerie bon marché, de l'électronique ou des raviolis en caoutchouc, ils le feraient. Ou simplement des gros sacs de long ou de rond comme Zhou au Mini-Riz d'à côté -qui n'a pas fait long feu, ouvert seulement pendant deux mois-. Ils le feraient je crois, sans se poser plus de questions. Juste pour se défendre.

samedi 30 juillet 2011

Bonmaure-sur-mer

Quand Bonmaure prend des allures de station balnéaire...un dimanche où ça cogne. Quand surprises par l'été hâtif, les rues se taisent cuites au soleil de mai... Et que l'on prend la poussière des travaux alentours pour du sable. Il vient certainement de la plage ! Juste au coin de cette ruelle. Celle-ci ou celle-là.

En terrasse


Les bazars indiens ont sorti leurs pacotilles de plastique multicolore. On croit y reconnaître des râteaux et des pelles et, suspendu à l'aubette, un cerf-volant à tête de Mickey. Sur les terrasses, ça se confirme : les tables bleues en PVC Oasis et les parasols Orangina sont de sortie. Moi, je marche depuis la capsule, en direction de la piscine, traînard et insouciant. Dans Bonmaure assoupie l'après-midi s'étire, alors que les effluves des barbecues finissent de s'évanouir.

Quelques murs acceptent d'accompagner mon trajet de leur ombre. Trop content, je file doux. Ici en orbite, le ciel est plus vaste et le soleil sait y prendre ses aises. Les chats le savent et attendent, ronroflant dans les haies que le soir ouvre la chasse à la souris. Pas un à cette heure. Ce qui fait de moi le seul spectacle pour les turcs à casquette, assis à siroter le café sous les parasols.

La piscine Baïkonour


On se rejoint enfin entre pélerins à serviette et sac de sport, arrivé aux abords de la piscine. On se désape en moins de deux et l'on change de monde. Là au centre aquatique Baïkonour, on décolle les paupières pour mater des bombinettes blacks au bord du bassin découvert. Juste au milieu des barres, c'est l'Aqualand version soviet soft. Les mectons gringalets comme les bouffeurs de fonte s'huilent la rétine et roulent des mécaniques devant les grappes de filles. Elles, les petites femeus du quartier, elles se montrent en sourire et gloussantes, à faire trempette ou bien à se faire frire les formes au monoï. De temps en temps, on se fait quelques longueurs, pour épater. Ne serait-ce que deux fois les cinquante, à fond de crawl.

En contrebas, c'est différent. C'est la famille tu vois. Tout le monde posé tranquille sur les transats ou sur le gazon. A regarder glisser les gosses du grand toboggan à flotte. Pas de chouchous ! chouchous ! Beignets ! Non. Mais là-bas au fond, on se paye des petits voyages au stand de crêpes et de glaces. Presque tout comme en vrai. Et même juste en face, les pieds dans le sable doré, la partie de beach-volley.

On sort de là comme d'une virée à La Baule, la galère des embouteillages en moins. Il faut juste ajuster les Ray Bans pour viser le ciel à la verticale. Histoire de ne pas attraper dans le paysage les barres HLM. Les blocs de béton blancs et bleus qui nous rappellent qu'on n'a pas réellement échappé à la gravité.

En tongs, short et t-shirt on revient de la piscine les cheveux encore mouillés, accompagné d'un halo humide et chloré. Sans la zonmé à l'île de Ré, paisibles et heureux de notre existence périphérique.






mercredi 27 juillet 2011

L'Institut Robert Brulais. Ou IRB.


Une masse sombre masque le soleil sur le parc des Joncs Soufflés. Amarrée juste en périphérie de Bonmaure, elle semble respirer du souffle rauque et régulier d'un respirateur artificiel. Ce vaisseau immobile et tragique, c'est l'Etoile Noire du centre de recherche contre le cancer. L'IRB ou Institut Robert Brulais. Faisant face au cratère vert du site archéologique, au coeur du parc, les hauts immeubles rectilignes engloutissent la lumière et s'imposent en silence. Pas de panneau géant indiquant la nature du lieu. Pas de fléchage inutile dans les rues adjacentes qui rappelleraient sa proximité. Malgré les formes oblongues de la chose qui mangent le paysage, tous à ses pieds font semblant de l'ignorer. Ils s'adonnent à courir encore un peu, à cultiver des tomates dans les potagers. Ils prennent les restes de soleil dans les chaises longues installées au milieu des carrés de jardins ouvriers, un oeil endormi sur leurs cultures, l'oreille bercée par le chant de l'autoroute A77.



Pauvreté et maladie


J'étais venu une première fois il y a quelques années, pour rendre visite à Y., qui finissait sa thèse sur la maladie et la pauvreté. Où est-ce qu'il en était à ce moment-là ? La pauvreté était une maladie. La maladie, un appauvrissement. Les deux peut-être ? Ou ça n'avait rien à voir... Je ne comprenais déjà pas grand chose à rien. Toujours est-il que la recherche contre le cancer fournissait une partie de son financement et qu'il se retrouvait là, sur le vaisseau amiral de la lutte contre le corps qui déraille. Contre le corps qui marche trop bien et donc de travers. Ca lui faisait un petit répit de se retrouver au milieu des blouses blanches, après avoir côtoyé les pouilleux, dans les foyers où l'on cache la crasse misérable qui enlaidit la grande ville. Des lieux discrets, peu signalés, en périphérie là aussi.

Respirer


Aujourd'hui j'y reviens pour y prendre un peu d'air. Pour me mettre à l'écart des particules lourdes et du cocktail de vapeurs toxiques qui émanent de la N7. De ce ruban dense entremêlé d'activités industrielles et de pavillons qui suit le fleuve routier. Parce qu'au moins là, ça ne dérange personne. Il faut que je respire, donc. Que je voie du vert, que je renifle les fleurs et le vent sans l'huile de moteur. Même entre deux autoroutes, je crois sentir mes bronches se rouvrir à transpirer dans les allées du parc.

Le caché


J'ai fumé hier. Avant-hier aussi. Oh très peu. C'est que j'ai dû acheter un nouveau cendrier. L'ancien, celui hérité de mon grand-père maternel n'a pas survécu au déménagement. Je n'ai pas gardé les morceaux. En vitesse je vous fais un dessin. Voilà c'est comme ça, un objet kitsch en céramique colorée, où l'on dépose les cendres au centre d'un plan d'eau. Aux pieds d'un pêcheur qu'on affuble d'une paille ou d'un brin d'herbe, en guise de canne. Il aimait aller pêcher mon grand-père, y passer des après-midis, pendant lesquelles moi petit garçon je m'ennuyais délicieusement. Ce n'est pas la pratique de la pêche qui l'a tué. Alors ce cendrier, c'était comme un rappel morbide, du coût d'une bouffée de mauvaise cigarette bourrée d'ammoniac. Ca ne m'avait jamais empêché de savourer le parfum d'une feuille de tabac. Mais ça me rappelait le prix de la vie.

Ca me rappellait ce qui est caché, cet envers du décor qu'on cherche à oublier. Parce qu'on a bien le droit à l'insouciance. Ou bien qu'un autre “on” cherche à nous faire oublier. Parce que "on" a des intérêts à défendre.

lundi 25 juillet 2011

Le mystère des auberges coréennes: la geste inutile du preux cosmonaute


Ca a commencé comme ça : un matin au métro Jean-Jacques Rousseau, une asiatique qui tire à bout de bras une énorme valise, encombrée par ailleurs de cabas estampillés Vuitton, Prada et consorts. Comme le train arrive la voilà qui panique, son appareil photo lui saute des mains telle une savonnette.
Un jeune type ramasse le numérique et lui tend avant de monter dans la rame. Sourire aux lèvres, je viens vite-vite et lui propose mon aide, empoignant d'office sa valise pleine à craquer. Ouf. La main devant la bouche, gloussant des remerciements confus, elle continue à s'affoler une fois hissés dans la rame. Je la trouve belle avec ses longs cheveux ébouriffés. Ces attitudes orientales faites de précautions dont on joue pour dire sans en avoir l'air...me ravissent. Il faut savoir lire un sourire interrompu d'un éventail de doigts fins.

Pour cette étudiante, c'est la panique. Elle veut savoir l'heure qu'il est, scrute affolée le plan de réseau minus juste au-dessus d'une dame en tailleur un rien vexée qu'on zyeute le haut de son crâne. Moi, tout sourire : “Where do you come from?”. Elle vient de Corée. Comment dit-on “Olala” en coréen ? Son avion décolle à midi de Roissy. Et il est déjà dix heures. Elle m'explique qu'elle est sortie hier, très tard. Et qu'elle a carrément oublié de se réveiller ce matin, dans son auberge de jeunesse à Bonmaure. C'est à dire à l'extrémité opposée de l'aéroport. Qu'est-ce que je peux lui dire d'autre ? Qu'elle a peu de chance d'avoir son avion, que c'est très dommage et qu'à la fois, si elle reste quelques jours de plus je l'inviterais volontiers à dîner. J'oublie pour le dîner. Peut-être en taxi ? Suggère-t-elle. Je hausse les épaules, je ne veux pas la contrarier. Elle peut toujours essayer. Alors, il faut descendre ici!
Vite!

Olala. On court, je descends avec elle. Nous sommes maintenant dans la ville la vraie, là elle devrait pouvoir attraper un taxi. Ou un missile sol-sol. Ou un tapis-volant. Les muscles de mes bras se tendent joyeusement, à soulever la valoche bourrée j'en suis sûr de souvenirs pour toute la famille. Et sûrement aussi de toutes sortes de fringues imprégnées du parfum érotico-chic de la ville de l'amour et de la mode. Sur le boulevard, je la rassure. Je contiens mes airs rigolards, appelle un taxi qui ne tarde pas. Elle me courbette des merci, s'engouffre dans la voiture et s'envole dans un nuage de fumées carbonées.

Voilà. J'ai fait l'employé buissonnier pour mettre dans un taxi une touriste coréenne jolie comme un coeur. Qui va manquer son vol pour Séoul. Et que je ne reverrai jamais. Encore une journée de faite pour un cosmonaute idiot.

dimanche 17 juillet 2011

La laverie de madame Amina

Le dimanche après-midi, je viens rendre visite à la laverie de madame Amina. Parce que je n'ai plus de chaussettes propres. Et que j'ai envie d'un café, de me poser avec un bon bouquin au milieu de la pièce. Avec en fond sonore la musique kabyle, les discussions interminables de madame Amina avec l'autre madame Amina, la poissonière. Et le ronron des machines qui cyclent. D'habitude, les lavomatics font partie de ces lieux de l'anonymat. On y attend quelque fois un peu, le temps d'un séchage. On n'y fait rien. Entre les machines à laver, à sécher, et la machine à avaler les billets de banque, on ne sait pas qui est qui. En silence on trie chacun nos chaussettes, caleçons, petites culottes et soutiens-gorge multicolores. Des neufs et des râpés. D'un oeil on fait un cliché de cette fille, là, étudiante coréenne en vacances à Paris. Ou cet autre, incapable de plier correctement son linge et qui au lieu de cela enfourne pêle-mêle chemises, pantalons, sous-vêtements dans de gros sacs informes. “Ah mais elle vous a pas appris votre femme ?” Un geste et elle comprend. “Elle est partie ? C'est la vie ça. Inch Allah vous allez trouver une autre bientôt”.



Elle ne parle pas avec tout le monde madame Amina. Et à vrai dire, elle parle de moins en moins. Au début, elle accueillait les clients avec le sourire, un “nihao” aux chinois et les salamalecs de coutume aux maghrébins. Et à moi, une attention qu'on aurait dit que j'avais une deuxième maman à Bonmaure. Seulement ça a changé. Elle a mis le voile plus souvent. Elle s'est tue.

Auparavant, on trouvait toujours dans ses jupes sa fille Fadia, quatre ans. La gamine passait son museau de souris dans l'entrebaîllement de la porte du fond. Ah! Elle avait repéré un camarade de jeu : moi, assis à la table couverte d'une nappe en nylon. Alors elle venait coller sa petite tête tout près pour chuchoter un : “tu veux jouer avec moi?”. Là on pouvait bien essayer de dire non...pas facile. Et si on craquait, elle sortait illico ses jeux de cartes et parfois ses poupées.

Mais je ne vois plus Fadia. Ou alors, si elle s'échappe de la porte du fond, on la sermonne vertement pour qu'elle rentre ou qu'elle aille jouer dehors avec sa trottinette Barbie. Bref, il faut qu'elle débarasse le plancher. Ou tout de suite, il s'énerve.

Lui, c'est son père. Un grand mutique tout sec aimable comme une porte de prison. Cela contraste avec la rondeur affable de madame Amina. Elle qui déjà une fois a eu la gentillesse de racommoder les ourlets défilés de mes pantalons de célibataire. Entre madame Amina et son mari bourru se cache, mal, un petit drame. Ils discutent en arabe, moi je ne comprends rien, sinon l'alternance des caresses et des agacements. On sent bien que quelque chose ne colle pas, mais on reste silencieux et on regarde le linge tourner dans le séchoir. Quand il est absent elle vous parle, elle discute volontiers, de tout et de rien. Mais s'il est là à lui poser l'oeil noir, elle vous fait signe qu'elle doit se taire. Son foulard sur ses cheveux se fait plus serré. On dirait qu'il lui noue la langue ce bout de tissu. Ces jours-là, pas moyen de lui tirer un mot.

Alors je comprends. Je bois mon café. Je remets une pièce pour faire sécher mes chaussettes. Et je lis en silence une nouvelle histoire du Hodja, en me demandant ce qu'il aurait fait lui, l'imbécile espiègle et génial.

dimanche 13 mars 2011

Des rondes celtes dans le casino bleu

Comment je les ai convaincus, je ne sais plus très bien. Mais ils sont venus ici, en orbite, un samedi soir. Deux amis, de formats très différents, en provenance du Disneyland central. Ils sont venus sans savoir vraiment de quoi il retourne : pour une “fête de nuit bretonne”. Autrement dit, un fest-noz. Bonmaure endormi va une fois de plus nous révéler une de ses gemmes.

Le coeur léger, nous descendons la colline de pavillons, dans une nuit d'hiver exceptionnellement douce. La ville est calme. Un unique promeneur de chiens nous rassure sur notre destination, puis enfin le premier panneau nous fait signe : “Fest Noz Bonmaure”.

Le casino bleu


En bas de la rue, penché sur le rond-point cerclé d'un trait de lumière ocre, une sorte de haut casino bleu : c'est là.

Les dames à la caisse s'embrouillent dans les calculs. Et puis on entre, on se dirige vers le vestiaire. Une affichette attrape mon oeil à la porte :c'est la liste des groupes qui mèneront la danse. Elle paraît longue quand même, je me rapproche, glisse des yeux jusqu'au bas de la page : le dernier groupe passe à cinq heures du matin.




Ca tourne!


Dans la grande salle, un couple de sonneurs démarre un andro. Les semelles chauffent. Pas pour décamper, mais pour tourner, de plus en plus vite. Les bras ou les auriculaires se tiennent et scandent la transe de la tribu. Je connais un peu leurs moeurs et j'encourage mes courageux compagnons à se faufiler entre deux bras, à se fondre dans la chaîne humaine.

Ils sont sauvages, certes. D'ailleurs on ne les remarque pas tout de suite, on les confond même avec des ordinaires, au beurre doux. Et puis, une odeur de crêpe, un nom biscornu: en voici un, puis un autre. Ils marient leurs femmes, leurs hommes, les mettent d'office au beurre salé. Ils sont sauvages et cependant il leur prend parfois d'entraîner dans leur cercle des antillais, des slaves, des auvergnats. Ils leur font tourner la tête à coup de cidre et de ronds de Saint Vincent.




Le capitaine Haddock


Très vite, à tourner, taper du pied, virevolter ou faire virevolter, on prend soif. Et faim. Là en bas, un bataillon de mamies a été réquisitionné pour l'occasion. Toute une rangée derrière leur galettières. Et pour faire glisser la beurre-sucre-sueur de mamie bretonne, du cidre. Brut. Dans un coin au bout de la rangée de crêpières, une bonne tête bourrue et à barbe blanche. Un capitaine assis, qui a pour unique fonction de lever le coude, remplir votre verre et surveiller patiemment la mousse qui redescend.

La Bretagne orbitale


Si ça vous prenait de tenter l'aventure, si vous savez laisser votre cerveau au vestiaire pour refiler les commandes à vos seuls bras et jambes...Alors laissez-les vous contaminer un jour, quelque part au voisinage de la Grande Capitale. Très vite, vous vous sentirez vous aussi membre de l'Ubuntu celte.
Yec'h mad!

lundi 28 février 2011

Mon pote le pope copte

Ce qu'a dit Djam

'Le pope ? Je le connais !' qu'elle m'avait dit Djam. “Tu parles bien de l'église à dôme rond, juste sur la nationale? Eh bien le pope, je le vois régulièrement quand je prends le métro, Il porte une grande barbe blanche et une robe noire, il m'impressionne je te jure...Jamais je lui ai parlé, j'ose pas! ” Donc Djam, tu le connais... tu le connais pas, c'est pas ton pote le pope copte!
Les coptes sont les chrétiens d'Egypte, pour la plupart membres de l'Eglise copte orthodoxe.

Un clocher au bord du fleuve

Quand même elle m'avait mis ça dans la tête. Et un dimanche, à la faveur d'un Franprix fermé, je m'erre
au bord du bitume, tout près de la gare routière. Un clocher brique au dôme gris souris, surmonté d'une croix, émerge entre le parking et le magasin de meubles abandonné. Au passage, j'achète trois mangues à la sauvette. A des indiens qui ont garé leur caddie Carrefour entre deux palissades.

J'approche de l'église. Sur le côté du bâtiment, un grand Christ coloré emplit la surface du mur, bras ouverts. Au dessus de l'entrée principale, côté nationale, une fresque représentant Marie tenant Jésus contre elle, en amazone sur un âne dont la bride est tenue par Joseph. Ils longent le Nil avec derrière eux trois pyramides. Agenouillée devant Joseph, une femme égyptienne tout droit sortie d'une de ces frises de Gizeh. Elle lui tend d'une main un bouquet de fleurs et de l'autre la clef dorée du Nil.
Assis ou appuyés sur la rambarde métallique qui les sépare de la circulation, des grappes de jeunes discutent bruyamment en arabe. Ils font face tous, à cette façade en arcs dont la grille est ouverte.



A l'intérieur

Passée une des portes en bois en haut des quelques marches, je pénètre dans une salle au plafond bas.Un cordon rouge ferme les rangées de bancs nombreux. Ils constituent un labyrinthe où les petits égyptiens s'adonnent à une gigantesque partie de cache-cache. A cette heure-ci , le service religieux est terminé et le lieu se remplit de cris d'enfants.

Je m'avance, le regard parcourant les dorures des colonnes. Puis sur le sol: des mosaïques où alternent poissons et entrelacs. Aux murs, de grands panneaux de carreaux aux couleurs identiques à celles des fresques extérieures.Elles mettent en scène un christ magnifique, jeune, aussi chevelu qu'apaisé.

La main sur l'icône

Les enfants courent dans tous les sens. Une bande de garçons s'aventure sur l'autel qui annonce en français : “J'irai vers l'autel de Dieu jusqu'au Dieu de ma joie”. Là tout au fond, le plafond s'ouvre pour y laisser monter de hautes poutres de bois clair. Entre les panneaux dorés des icônes orthodoxes, une tenture rouge est étendue qui donne (on l'imagine) vers le domaine réservé du prêtre. Un gamin aux cheveux bouclés, un peu plus audacieux que les autres, s'ose à grimper sur une chaire sculptée et massive, disposée de côté sur l'autel. Le pope est sur le point de le reprendre quand le garçonnet applique la paume de sa main sur l'icône du christ avant de l'embrasser. “Ah, bravo” le félicite-t-il. Figure de Dieu le père lui-même, le pope s'impose dans sa robe noire dont la capuche finement ornée de dorures laisse échapper une barbe fournie. Plus argentée que blanche. Une jeune femme s'approche de lui, se baisse et lui baise la main. Puis, discrètement, ils se mettent tous deux à l'écart près de l'autel. Patient, il l'écoute pensif, caressant sa barbe. Il est temps pour moi de m'éclipser.

vendredi 18 février 2011

Au Purple, le pub portugais


C'est un samedi après-midi. Passé entièrement en périphérie Sud. Couché trop tard, il a fallu aussi que je sacrifie au rituel de la laverie. Et pendant que mon linge tourne, je vais prendre mon déjeuner de quatre heures. Au turc. Je me tape une bonne assiette de kebab. Salade: oui. Tomate: oui. Oignons: oui. Ketchup, huile: beaucoup. Puis je tâche de faire descendre le tout, à coup de thé glacé en boîte. C'est là qu'un vieux jovial se radine. Il baragouine des turqueries que je comprends pas. Je saisis quand même qu'il revient du café. Il s'adresse à moi, va savoir. Il m'explique : “j'ai pris deux cafés”. Ah... “Au portugais, là au coin, ya nouvelle serveuse brésilienne” Et il dessine de ses mains une poitrine généreuse. “Tlès, tlès belle. Il faut y aller ! Et il faut toucher aussi hein ...”. C'est décidé, je lâche les euros dans la pogne boudinée du fils du patron. Il est tout en rond celui-là; on voit bien qu'il mange pas que des oignons, des tomates ou de la salade. Techerkul! Et je file, sur les indications du vieux.


Laïla
Au coin de la rue un peu plus bas, je pousse la porte du Purple. Elle est là derrière le comptoir, la jolie métisse à mater. “Au Brésil, on parle comme on chante”. Mais elle chante surtout Laïla, tout le temps. Une voix suave et doucement joyeuse. Pendant ce temps les piliers du troquet lui disent qu'elle est belle, parlent de la pluie, du beau temps, lui demandent si elle va sortir ce soir. Elle leur donne ce sourire tranquille de la biche sereine au milieu des vieux lions fourbus. Elle ne leur en veut pas de rester là à tremper sa beauté de caramel moiré dans leur café noir. De se noyer les yeux dans son corsage un peu plus à chaque gorgée de bière. “Ils sont gentils” qu'elle dit. Elle leur tape sur les pattes malgré tout quand ils tentent d'ajouter le toucher à la vue. Elle est là, posée, diffusant cette sensualité inattendue au milieu du rade. Une demi-douzaine d'amoureux tous plus ou moins alcoolos qu'elle a.

Je lui demande un Calva avec mon café. Des yeux elle interroge José, un habitué, pour trouver les verres. Un portos comme beaucoup de clients ici, crâne rasé et petites lunettes. Il aligne les whisky-coca avec son pote rasta antillais. Ils font des aller-retours au jukebox du fond de la salle : Alpha Blondy, Diana Ross...Et ça tu connais? Tu te rappelles pas ? Brigadier Sabary!

J'ai traîné un peu, gratté moi aussi quelques souvenirs de radio des années 80 et puis... la lessive m'appelait.




Boa noite Bonmaure
Au Purple, je suis revenu boire une bière, un soir où je devais discuter le bout avec mon proprio et néanmoins ami. A vrai dire, après un bref tour dans Bonmaure, c'était le seul rade ouvert après 21h.

“Dis donc, qu'il me dit Caïn, on dirait un peep show ton truc”. 

Rapport à la couleur. On passe sous l'aubette violette, ça jouait aux fléchettes avec la sono à fond. Des plus jeunes, cette fois. Ceux qui ne jouaient pas s'usaient le coude au zinc. La rétine tâtant tantôt la bouche de Laïla, tantôt dérapant plus bas malgré eux.
Dis, la Sagres, c'est portugais ? Oui, oui. Alors va. Plus tard il me dira, tu sais, la Super Bock c'est bien meilleur. Avec la voix de Laïla dans les oreilles la plus ordinaire des bibines passe, pour moi. Le son monte encore un peu plus : on youtube du reggaeton brésilien : “ela quer dançar”. 

Elle veut danser, Laïla. Et tout Bonmaure avec elle.

mercredi 9 février 2011

Un éléphant bleu et un clown roux à rayures


Mon estomac grogne. Ses borborygmes imposent une solution rapide. Alors qu'il est déjà près de onze heures du soir. Pas le choix, direction chez Ronald, un peu plus bas le long du boulevard. Le portail claque et je m'escrime à le fermer avec la clé fraîchement frappée. Un type grisonnant à gapette irlandaise promène son clebs. Il a une veste élimée sur le dos. Je le croise impassible.. Puis je me retourne. J'attends deux ou trois minutes. Voir si c'est lui, pour l'expo. Et puis non.

Cavalier facile
Je remonte la nationale, Pour faire passer la pilule, je pense aux road-movies américains. Easy Rider, celui qui m'a le plus marqué. Mauvaise pioche hélas. Il faut espérer qu'on m'accueille plus chaleureusement au MacDo de Bonmaure. En tout cas mieux qu'on n'accueille Fonda, Hopper et Nicholson dans le diner du film. J'imagine qu'ils vont me dévisager, les apaches. Ils vont forcément voir que je suis pas d'ici. Mon moral remonte un peu devant le sourire hilare de l'éléphant bleu.



Et là juste après la sation Elf, encore un M doré. Celui là sent la friture à cent mètres.

La bande d'ados du Domac
Les piétons ne sont pas prévus dans ce restaurant américain. Il faut que je me fraye un chemin par les couloirs réservés aux clients du drive-in. En faisant attention de ne pas me faire écraser par un mangeur de menu maxi-best-of-double-cheese (plus nuggets). Une fois poussée la porte d'entrée, je file vers la caisse. Facile, il n'y a personne ici. Enfin pas de client, sous la lumière crue de la salle. De l'autre côté du comptoir, c'est une bande de copains-copines qui s'est emparé du domac.Ca se chicane, ça se chamaille, ça rigole. Je commande à Charlotte, une blonde boulotte aux lunettes à bords épais. Un Big Mac avec frites, sans boisson.

Elle grince la chaise, sur le carrelage blanc et gris. Assis, je contemple mon sandwich : une triste semelle entre deux brioches. Avec en prime un bout flasque de pâte à modeler jaune fluo, qui sent les pieds. Pas de surprise, c'est bien comme d'habitude. J'étrangle trois sachets de ketchup, mon péché mignon. J'y noierai mes frites.

Ca s'amuse toujours en cuisine, on est entre potes. Le client est un intrus. Celui du drive-in est mieux toléré. Il sait se faire discret. Rien qu'une voix dans le casque blanc. C'est une petite brune à queue de cheval qui l'a sur les oreilles. Elle s'engueule un peu avec Baya, une beauté africaine qui ne s'en laisse pas conter. Finalement, c'est une voix masculine qui s'élève du fond, par dessus l'alarme de la friteuse. “Eh les meufs c'est le dawa là”. “Charlotte, la caisse !”. Gloussements, et c'est reparti : les filles se liguent pour remettre gentiment Rachid à sa place.

On ferme
Pendant ce temps, à ma droite, le vigile. Un grand noir pour ne pas l'inventer. Il passe sa soirée pendu à son portable. A demi posé sur un tabouret, il garde un oeil distrait sur l'entrée. Je m'imagine qu'à l'autre bout, c'est le pays, la famille. Il tchippe : une engueulade ? Il sourit, il miaule : sa femme ? Il se renfrogne, secoue la tête et soupire : des mauvaises nouvelles, la famille qui demande encore de l'argent ? Puis il se pose, remet son téléphone dans la poche de son cuir noir. Les coudes posés sur le comptoir, il s'affale un peu.

Un client vient : je reconnais un des habitués du Purple, un bar portugais à deux pas. A emporter s'il vous plaît. Personne ne reste ici ou presque. Trois petites ados en jean moulant font des mines au gardien : “Ben quoi tu dis pas bonjour”. Il se lève tranquille, serre la main. Et puis il tourne un peu dans la salle, fait jouer les clés autour de ses doigts. Ils vont tous partir d'une minute à l'autre. De temps en temps, une des filles à la caisse me jette un oeil curieux. Je me lève et je demande un shake. Pas possible, la machine est arrêtée. Je me rabats sur la pâtisserie. “Benjamin, un meuphain steup”.

Mon dessert en poche, je me laisse guider vers la sortie par le gardien. Il ouvre les deux portes pour moi, me laisse m'échapper d'un au-revoir-merci. Dans le calme du flux automobile, je me pose en mordant dans le muffin mou.. Il va falloir rentrer dans ma station. Je lève le nez au ciel. Bonmaure me fait un clin de lune. J'ai un premier renvoi de ketchup.

dimanche 30 janvier 2011

L'arrivée à Bonmaure



Elle est la ville? J'ai tiré mes valises en haut des escaliers. Au dessus de ma tête, le grand M familier, jaune canari fluo. C'est janvier, c'est ce que dit la buée qui se forme à chaque expiration. Voilà, j'y suis. La navette n'a pas mis plus d'un quart d'heure avant de s'amarrer ici. A ce satellite de la grande ville. Celle qui est derrière moi. J'ai signé, plus ou moins. Pas le choix en réalité. Elle m'a vomi.

Bonmaure. Jamais j'aurais cru me retrouver ici. Ca ne me parlait pas, tous ces noms inutiles sur cette ceinture orbitale. Rien que des noms de terminus, dernier arrêt avant de basculer dans le vide.
Ca, c'était avant. Quand je n'avais que des fantasmes ou des trous blancs sur ma carte. Mais ce soir je viens pour me poser. La banlieue m'offre l'hospitalité. Le temps que je me retourne.

Je reprends d'un côté la valise à roulettes, de l'autre un grand sac de livres. Dans le dos, encore un peu de linge et des casseroles. A ma droite s'écoule le fleuve de la Grande Nationale, stoppé seulement par le carrefour. Le silence n'est troublé que par ce flux des pneus sur l'asphalte. Il alterne avec le glougloutement des pots d'échappement. Et aussi, en attendant le petit homme vert, un glissement souple. C'est celui du panneau publicitaire déroulant. Il amène en quatre par trois une déesse en petite tenue. Elle s'expose allongée, le regard ailleurs. On dirait qu'elle feint d'ignorer les reluqueurs automobiles, couchés au feu sur leur volant.

Je traverse, slalome entre les étrons qui parsèment le boulevard. Je ne m'explique pas : l'exposition de crottes de chien. Ou bien il s'agit d'un animal acrobate qui se juche sur les plots de granit. Afin d'y déposer ses offrandes. Ou bien, l'un de ces esprits dérangés s'amuse à récolter les oeuvres de son semeur d'étrons pour les disposer là, sur ces piédestals.

Sain et sauf, je parviens à la bicoque. C'est là que je vais poser mes gaules. Comme aurait dit mon grand-père. Juste là, au bord du fleuve. Sous l'aubette derrière la maison, je pose mes bagages. Pas de bruit, le moins possible, pour ne pas déranger ma voisine. Une première porte. Puis le sas. Enfin, le studio, chez moi.

lundi 24 janvier 2011

allo la terre

Vous me recevez? Tout paraît si petit vu d'ici. Je me dirige vers le sas pour tenter une sortie.