vendredi 2 septembre 2011

La jolie houri du Monoprix


Quand je l'ai vue les deux-trois premières fois, nous étions encore en hiver et elle portait un col roulé vert en laine à grosses mailles. Je passais, je la remarquais. On était samedi matin, ma tête était pleine de coton, ma bouche pâteuse et mon estomac gargouillant. Et surtout je pensais encore à une autre. Mais au fil des semaines, je m'étais mis à m'imaginer assez d'audace pour l'aborder, cette petite mignonne. 

La houri, une brune de paradis


Une brune avec des taches de rousseur sous les yeux. Est-ce que ça existe ? Il faut croire. Quand il faut choisir au Monop, la tête épaisse des excès de la veille, la bonne file. Je ne traîne jamais pour faire ces foutues courses, alors qu'à la fois j'ai tout mon temps pour m'écarter de la routine. La queue qui ira le plus vite ? Pas de petite vieille. Une caissière expérimentée qui ne jacasse pas avec les clients. Mais là je m'en fiche pas mal d'optimiser mon attente à la caisse. Sur d'autres critères, je me place devant la numéro 3. Jeune et brune, très brune. Des yeux de jais derrière des lunettes à bords épais. Et une poitrine qui doit faire dans les 85C sous son t-shirt blanc. De longs cheveux bouclés, une vraie crinière, et un sourire pailleté de ces fameuses taches de rousseur. J'ai tout mon temps pour l'observer, lui trouver assez de timidité, cette dose de maladresse qui si souvent fait vibrer ma corde sensible. Je suis touché aussi par la musique des rires qui s'échappent, lorsqu'elle passe les achats sur le faisceau du lecteur de code barres. Le mot de houri me vient sur les lèvres (et sur les rêves aussi ; empoisonné de la lecture d'un Nicolas Bouvier, je me crois grand voyageur de quartier)... quand j'attrape le blanc de ses yeux relevé par son teint mat. J'ai cru entendre qu'elle s'appelait Samia.

Quand vient mon tour, elle sourit elle me jette des petits regards elle glousse elle pouffe elle maintient le contact visuel. Je lui ai fait un compliment sur sa nouvelle coiffure l'autre jour. Depuis elle me reconnait, montre un embarras joyeux. Elle fait des mines et c'est ravissant. C'est le printemps et mon détecteur d'attraction plus fonctionnel que jamais fait tilt tilt TILT, mais oh TILT que je te dis. Seulement voilà...

Seulement...


Seulement, mes yeux glissent et reglissent sur ses avant-bras dénudés. Leur couverture pileuse reflète cette longue chevelure ondulée qui me plaîsait tant. Ce sont de longs fils de laine noire qui font de mes propres bras ceux d'un adolescent pré-pubère. J'exagère, je m'en veux. Inutile de se voiler la face. C'est trop tard! Ma réaction est automatique, instinctive, inévitable.

Tous les samedis, je retourne plein d'espoir à la caisse 3. Tous les samedis, dans le coltard, je me dis cette fois, je vais faire un pas. Un de plus. Elle aura plus ces poils sur les bras, c'est sûr j'avais du mal voir. Hélas ô grand hélas tel Sisyphe qui benêt voit rouler pour la dix milliardième fois sa pierre du haut du sommet je repars, sacs en plastique à la main, avec en guise de souvenir une des ces boules à neige : sourire radieux, regard allumé de la jolie caissière. Et en guise de flocons, une pluie de poils noirs. Je secoue la tête et tout redevient sombre. A la semaine prochaine, Samia. Je ne suis pas fier de ça, mais t'as vraiment trop de poils pour moi.