lundi 28 février 2011

Mon pote le pope copte

Ce qu'a dit Djam

'Le pope ? Je le connais !' qu'elle m'avait dit Djam. “Tu parles bien de l'église à dôme rond, juste sur la nationale? Eh bien le pope, je le vois régulièrement quand je prends le métro, Il porte une grande barbe blanche et une robe noire, il m'impressionne je te jure...Jamais je lui ai parlé, j'ose pas! ” Donc Djam, tu le connais... tu le connais pas, c'est pas ton pote le pope copte!
Les coptes sont les chrétiens d'Egypte, pour la plupart membres de l'Eglise copte orthodoxe.

Un clocher au bord du fleuve

Quand même elle m'avait mis ça dans la tête. Et un dimanche, à la faveur d'un Franprix fermé, je m'erre
au bord du bitume, tout près de la gare routière. Un clocher brique au dôme gris souris, surmonté d'une croix, émerge entre le parking et le magasin de meubles abandonné. Au passage, j'achète trois mangues à la sauvette. A des indiens qui ont garé leur caddie Carrefour entre deux palissades.

J'approche de l'église. Sur le côté du bâtiment, un grand Christ coloré emplit la surface du mur, bras ouverts. Au dessus de l'entrée principale, côté nationale, une fresque représentant Marie tenant Jésus contre elle, en amazone sur un âne dont la bride est tenue par Joseph. Ils longent le Nil avec derrière eux trois pyramides. Agenouillée devant Joseph, une femme égyptienne tout droit sortie d'une de ces frises de Gizeh. Elle lui tend d'une main un bouquet de fleurs et de l'autre la clef dorée du Nil.
Assis ou appuyés sur la rambarde métallique qui les sépare de la circulation, des grappes de jeunes discutent bruyamment en arabe. Ils font face tous, à cette façade en arcs dont la grille est ouverte.



A l'intérieur

Passée une des portes en bois en haut des quelques marches, je pénètre dans une salle au plafond bas.Un cordon rouge ferme les rangées de bancs nombreux. Ils constituent un labyrinthe où les petits égyptiens s'adonnent à une gigantesque partie de cache-cache. A cette heure-ci , le service religieux est terminé et le lieu se remplit de cris d'enfants.

Je m'avance, le regard parcourant les dorures des colonnes. Puis sur le sol: des mosaïques où alternent poissons et entrelacs. Aux murs, de grands panneaux de carreaux aux couleurs identiques à celles des fresques extérieures.Elles mettent en scène un christ magnifique, jeune, aussi chevelu qu'apaisé.

La main sur l'icône

Les enfants courent dans tous les sens. Une bande de garçons s'aventure sur l'autel qui annonce en français : “J'irai vers l'autel de Dieu jusqu'au Dieu de ma joie”. Là tout au fond, le plafond s'ouvre pour y laisser monter de hautes poutres de bois clair. Entre les panneaux dorés des icônes orthodoxes, une tenture rouge est étendue qui donne (on l'imagine) vers le domaine réservé du prêtre. Un gamin aux cheveux bouclés, un peu plus audacieux que les autres, s'ose à grimper sur une chaire sculptée et massive, disposée de côté sur l'autel. Le pope est sur le point de le reprendre quand le garçonnet applique la paume de sa main sur l'icône du christ avant de l'embrasser. “Ah, bravo” le félicite-t-il. Figure de Dieu le père lui-même, le pope s'impose dans sa robe noire dont la capuche finement ornée de dorures laisse échapper une barbe fournie. Plus argentée que blanche. Une jeune femme s'approche de lui, se baisse et lui baise la main. Puis, discrètement, ils se mettent tous deux à l'écart près de l'autel. Patient, il l'écoute pensif, caressant sa barbe. Il est temps pour moi de m'éclipser.

vendredi 18 février 2011

Au Purple, le pub portugais


C'est un samedi après-midi. Passé entièrement en périphérie Sud. Couché trop tard, il a fallu aussi que je sacrifie au rituel de la laverie. Et pendant que mon linge tourne, je vais prendre mon déjeuner de quatre heures. Au turc. Je me tape une bonne assiette de kebab. Salade: oui. Tomate: oui. Oignons: oui. Ketchup, huile: beaucoup. Puis je tâche de faire descendre le tout, à coup de thé glacé en boîte. C'est là qu'un vieux jovial se radine. Il baragouine des turqueries que je comprends pas. Je saisis quand même qu'il revient du café. Il s'adresse à moi, va savoir. Il m'explique : “j'ai pris deux cafés”. Ah... “Au portugais, là au coin, ya nouvelle serveuse brésilienne” Et il dessine de ses mains une poitrine généreuse. “Tlès, tlès belle. Il faut y aller ! Et il faut toucher aussi hein ...”. C'est décidé, je lâche les euros dans la pogne boudinée du fils du patron. Il est tout en rond celui-là; on voit bien qu'il mange pas que des oignons, des tomates ou de la salade. Techerkul! Et je file, sur les indications du vieux.


Laïla
Au coin de la rue un peu plus bas, je pousse la porte du Purple. Elle est là derrière le comptoir, la jolie métisse à mater. “Au Brésil, on parle comme on chante”. Mais elle chante surtout Laïla, tout le temps. Une voix suave et doucement joyeuse. Pendant ce temps les piliers du troquet lui disent qu'elle est belle, parlent de la pluie, du beau temps, lui demandent si elle va sortir ce soir. Elle leur donne ce sourire tranquille de la biche sereine au milieu des vieux lions fourbus. Elle ne leur en veut pas de rester là à tremper sa beauté de caramel moiré dans leur café noir. De se noyer les yeux dans son corsage un peu plus à chaque gorgée de bière. “Ils sont gentils” qu'elle dit. Elle leur tape sur les pattes malgré tout quand ils tentent d'ajouter le toucher à la vue. Elle est là, posée, diffusant cette sensualité inattendue au milieu du rade. Une demi-douzaine d'amoureux tous plus ou moins alcoolos qu'elle a.

Je lui demande un Calva avec mon café. Des yeux elle interroge José, un habitué, pour trouver les verres. Un portos comme beaucoup de clients ici, crâne rasé et petites lunettes. Il aligne les whisky-coca avec son pote rasta antillais. Ils font des aller-retours au jukebox du fond de la salle : Alpha Blondy, Diana Ross...Et ça tu connais? Tu te rappelles pas ? Brigadier Sabary!

J'ai traîné un peu, gratté moi aussi quelques souvenirs de radio des années 80 et puis... la lessive m'appelait.




Boa noite Bonmaure
Au Purple, je suis revenu boire une bière, un soir où je devais discuter le bout avec mon proprio et néanmoins ami. A vrai dire, après un bref tour dans Bonmaure, c'était le seul rade ouvert après 21h.

“Dis donc, qu'il me dit Caïn, on dirait un peep show ton truc”. 

Rapport à la couleur. On passe sous l'aubette violette, ça jouait aux fléchettes avec la sono à fond. Des plus jeunes, cette fois. Ceux qui ne jouaient pas s'usaient le coude au zinc. La rétine tâtant tantôt la bouche de Laïla, tantôt dérapant plus bas malgré eux.
Dis, la Sagres, c'est portugais ? Oui, oui. Alors va. Plus tard il me dira, tu sais, la Super Bock c'est bien meilleur. Avec la voix de Laïla dans les oreilles la plus ordinaire des bibines passe, pour moi. Le son monte encore un peu plus : on youtube du reggaeton brésilien : “ela quer dançar”. 

Elle veut danser, Laïla. Et tout Bonmaure avec elle.

mercredi 9 février 2011

Un éléphant bleu et un clown roux à rayures


Mon estomac grogne. Ses borborygmes imposent une solution rapide. Alors qu'il est déjà près de onze heures du soir. Pas le choix, direction chez Ronald, un peu plus bas le long du boulevard. Le portail claque et je m'escrime à le fermer avec la clé fraîchement frappée. Un type grisonnant à gapette irlandaise promène son clebs. Il a une veste élimée sur le dos. Je le croise impassible.. Puis je me retourne. J'attends deux ou trois minutes. Voir si c'est lui, pour l'expo. Et puis non.

Cavalier facile
Je remonte la nationale, Pour faire passer la pilule, je pense aux road-movies américains. Easy Rider, celui qui m'a le plus marqué. Mauvaise pioche hélas. Il faut espérer qu'on m'accueille plus chaleureusement au MacDo de Bonmaure. En tout cas mieux qu'on n'accueille Fonda, Hopper et Nicholson dans le diner du film. J'imagine qu'ils vont me dévisager, les apaches. Ils vont forcément voir que je suis pas d'ici. Mon moral remonte un peu devant le sourire hilare de l'éléphant bleu.



Et là juste après la sation Elf, encore un M doré. Celui là sent la friture à cent mètres.

La bande d'ados du Domac
Les piétons ne sont pas prévus dans ce restaurant américain. Il faut que je me fraye un chemin par les couloirs réservés aux clients du drive-in. En faisant attention de ne pas me faire écraser par un mangeur de menu maxi-best-of-double-cheese (plus nuggets). Une fois poussée la porte d'entrée, je file vers la caisse. Facile, il n'y a personne ici. Enfin pas de client, sous la lumière crue de la salle. De l'autre côté du comptoir, c'est une bande de copains-copines qui s'est emparé du domac.Ca se chicane, ça se chamaille, ça rigole. Je commande à Charlotte, une blonde boulotte aux lunettes à bords épais. Un Big Mac avec frites, sans boisson.

Elle grince la chaise, sur le carrelage blanc et gris. Assis, je contemple mon sandwich : une triste semelle entre deux brioches. Avec en prime un bout flasque de pâte à modeler jaune fluo, qui sent les pieds. Pas de surprise, c'est bien comme d'habitude. J'étrangle trois sachets de ketchup, mon péché mignon. J'y noierai mes frites.

Ca s'amuse toujours en cuisine, on est entre potes. Le client est un intrus. Celui du drive-in est mieux toléré. Il sait se faire discret. Rien qu'une voix dans le casque blanc. C'est une petite brune à queue de cheval qui l'a sur les oreilles. Elle s'engueule un peu avec Baya, une beauté africaine qui ne s'en laisse pas conter. Finalement, c'est une voix masculine qui s'élève du fond, par dessus l'alarme de la friteuse. “Eh les meufs c'est le dawa là”. “Charlotte, la caisse !”. Gloussements, et c'est reparti : les filles se liguent pour remettre gentiment Rachid à sa place.

On ferme
Pendant ce temps, à ma droite, le vigile. Un grand noir pour ne pas l'inventer. Il passe sa soirée pendu à son portable. A demi posé sur un tabouret, il garde un oeil distrait sur l'entrée. Je m'imagine qu'à l'autre bout, c'est le pays, la famille. Il tchippe : une engueulade ? Il sourit, il miaule : sa femme ? Il se renfrogne, secoue la tête et soupire : des mauvaises nouvelles, la famille qui demande encore de l'argent ? Puis il se pose, remet son téléphone dans la poche de son cuir noir. Les coudes posés sur le comptoir, il s'affale un peu.

Un client vient : je reconnais un des habitués du Purple, un bar portugais à deux pas. A emporter s'il vous plaît. Personne ne reste ici ou presque. Trois petites ados en jean moulant font des mines au gardien : “Ben quoi tu dis pas bonjour”. Il se lève tranquille, serre la main. Et puis il tourne un peu dans la salle, fait jouer les clés autour de ses doigts. Ils vont tous partir d'une minute à l'autre. De temps en temps, une des filles à la caisse me jette un oeil curieux. Je me lève et je demande un shake. Pas possible, la machine est arrêtée. Je me rabats sur la pâtisserie. “Benjamin, un meuphain steup”.

Mon dessert en poche, je me laisse guider vers la sortie par le gardien. Il ouvre les deux portes pour moi, me laisse m'échapper d'un au-revoir-merci. Dans le calme du flux automobile, je me pose en mordant dans le muffin mou.. Il va falloir rentrer dans ma station. Je lève le nez au ciel. Bonmaure me fait un clin de lune. J'ai un premier renvoi de ketchup.