mercredi 9 février 2011

Un éléphant bleu et un clown roux à rayures


Mon estomac grogne. Ses borborygmes imposent une solution rapide. Alors qu'il est déjà près de onze heures du soir. Pas le choix, direction chez Ronald, un peu plus bas le long du boulevard. Le portail claque et je m'escrime à le fermer avec la clé fraîchement frappée. Un type grisonnant à gapette irlandaise promène son clebs. Il a une veste élimée sur le dos. Je le croise impassible.. Puis je me retourne. J'attends deux ou trois minutes. Voir si c'est lui, pour l'expo. Et puis non.

Cavalier facile
Je remonte la nationale, Pour faire passer la pilule, je pense aux road-movies américains. Easy Rider, celui qui m'a le plus marqué. Mauvaise pioche hélas. Il faut espérer qu'on m'accueille plus chaleureusement au MacDo de Bonmaure. En tout cas mieux qu'on n'accueille Fonda, Hopper et Nicholson dans le diner du film. J'imagine qu'ils vont me dévisager, les apaches. Ils vont forcément voir que je suis pas d'ici. Mon moral remonte un peu devant le sourire hilare de l'éléphant bleu.



Et là juste après la sation Elf, encore un M doré. Celui là sent la friture à cent mètres.

La bande d'ados du Domac
Les piétons ne sont pas prévus dans ce restaurant américain. Il faut que je me fraye un chemin par les couloirs réservés aux clients du drive-in. En faisant attention de ne pas me faire écraser par un mangeur de menu maxi-best-of-double-cheese (plus nuggets). Une fois poussée la porte d'entrée, je file vers la caisse. Facile, il n'y a personne ici. Enfin pas de client, sous la lumière crue de la salle. De l'autre côté du comptoir, c'est une bande de copains-copines qui s'est emparé du domac.Ca se chicane, ça se chamaille, ça rigole. Je commande à Charlotte, une blonde boulotte aux lunettes à bords épais. Un Big Mac avec frites, sans boisson.

Elle grince la chaise, sur le carrelage blanc et gris. Assis, je contemple mon sandwich : une triste semelle entre deux brioches. Avec en prime un bout flasque de pâte à modeler jaune fluo, qui sent les pieds. Pas de surprise, c'est bien comme d'habitude. J'étrangle trois sachets de ketchup, mon péché mignon. J'y noierai mes frites.

Ca s'amuse toujours en cuisine, on est entre potes. Le client est un intrus. Celui du drive-in est mieux toléré. Il sait se faire discret. Rien qu'une voix dans le casque blanc. C'est une petite brune à queue de cheval qui l'a sur les oreilles. Elle s'engueule un peu avec Baya, une beauté africaine qui ne s'en laisse pas conter. Finalement, c'est une voix masculine qui s'élève du fond, par dessus l'alarme de la friteuse. “Eh les meufs c'est le dawa là”. “Charlotte, la caisse !”. Gloussements, et c'est reparti : les filles se liguent pour remettre gentiment Rachid à sa place.

On ferme
Pendant ce temps, à ma droite, le vigile. Un grand noir pour ne pas l'inventer. Il passe sa soirée pendu à son portable. A demi posé sur un tabouret, il garde un oeil distrait sur l'entrée. Je m'imagine qu'à l'autre bout, c'est le pays, la famille. Il tchippe : une engueulade ? Il sourit, il miaule : sa femme ? Il se renfrogne, secoue la tête et soupire : des mauvaises nouvelles, la famille qui demande encore de l'argent ? Puis il se pose, remet son téléphone dans la poche de son cuir noir. Les coudes posés sur le comptoir, il s'affale un peu.

Un client vient : je reconnais un des habitués du Purple, un bar portugais à deux pas. A emporter s'il vous plaît. Personne ne reste ici ou presque. Trois petites ados en jean moulant font des mines au gardien : “Ben quoi tu dis pas bonjour”. Il se lève tranquille, serre la main. Et puis il tourne un peu dans la salle, fait jouer les clés autour de ses doigts. Ils vont tous partir d'une minute à l'autre. De temps en temps, une des filles à la caisse me jette un oeil curieux. Je me lève et je demande un shake. Pas possible, la machine est arrêtée. Je me rabats sur la pâtisserie. “Benjamin, un meuphain steup”.

Mon dessert en poche, je me laisse guider vers la sortie par le gardien. Il ouvre les deux portes pour moi, me laisse m'échapper d'un au-revoir-merci. Dans le calme du flux automobile, je me pose en mordant dans le muffin mou.. Il va falloir rentrer dans ma station. Je lève le nez au ciel. Bonmaure me fait un clin de lune. J'ai un premier renvoi de ketchup.

1 commentaire:

  1. Bravo Monsieur Youri.
    Tu as un vrai plume (ou plutôt un clavier). Des phrases superbes. "Bonmaure me fait un clin de lune" est la plus belle de la blogosphère. Un peu de littérature dans le monde du TCHAT lol en SMS. Merci beaucoup et félicitation.
    Docteur binu

    RépondreSupprimer