mercredi 5 octobre 2011

Les grues sont vivantes


Depuis que je vis une vie extra-muros, extra-périph, je suis un peu extra-lucide. Je lève à nouveau le nez au ciel ! La lumière frappe mes cônes et mes batonnets scintillent. Je me goinfre du bleu ouvert du ciel de banlieue, de cet air à perte de vue. Il se découpe de cités en friche, de plaines de pavillons-cubes. Et de grands oiseaux d'acier vivants, qui tournent lents avec le vent. Ce sont les grues jaunes des chantiers sans nombre. Cadres fragiles de fines cellules de métal, de câbles souples ou tendus au milieu desquels se croisent les horizons. Regardez, là dans l'écran dessiné par le T du mât et de la flèche. Suivez les ces girouettes géantes qui jouent du bec sur une seule jambe. Tout en silence. Dans le quatre par trois de la photo, elles tranchent en parts inégales la masse des nuages moussus. Elles créent des triangles à partir du flou.

Croyez-vous vraiment qu'elles ne servent qu'à lever des matériaux ? Quand est-ce que pour la dernière fois vous avez pu apercevoir le moindre objet se balancer au bout de leur câble ? Les grues sont des oiseaux extra extra extra terrestres débarqués de soucoupes en kit. Montées dans la nuit en cachette des hommes, elles en prélèvent à leur faim un ou deux éléments, quand elles sont sûres que les autres ont le dos tourné. Elles les digèrent dans leur estomac-bétonnière, située à la base de leur long pied. Bien malaxé et mêlé de sable, d'eau et de graviers gris, elles les tassent en petits pâtés d'immeubles. Des réserves pour l'hiver grutier. Elles reviendront un jour les chercher, à coups de masse balancée de leur crochet affamé par le jeûne !


Les grues veillent au grain


Elles font des bébés grues qui se déplacent timides sur leurs chenilles toutes neuves. Comme elles sont choux les petites grues-grues avec leurs mini moufles et leurs poulies qui couinent ! Elles appellent leurs grandes mamans grues-poules. Qui ne les quittent jamais du treuil ! Oui les mamans grues veillent au grain. Sur leurs petits. Et sur les humains. A ce qu'ils s'activent pour fournir la matière qu'elles sont venues chercher. A ce qu'ils mangent, les hommes, à ce qu'ils boivent. A ce qu'ils aient faim et soif ! A ce qu'ils se rencontrent, à ce qu'ils se quittent. A ce qu'ils réfléchissent. A ce qu'ils s'aiment. A ce qu'ils s'enthousiasment. A ce qu'ils brûlent. A ce qu'ils désespèrent. A ce qu'ils emménagent. A ce qu'ils déménagent. A ce qu'ils construisent. Ici. Là. Elles ont faim, les grues. Elles ont besoin qu'on les nourrisse. Elles ont besoin de leurs bactéries humaines pour vivre. Elles ne disent rien et girent sans un mot. Elles embrassent l'autour, leurs trois cent soixante degrés. Elles se saluent. Mais elles s'ennuient les grues. Terriblement.
Quand nous dormons tous sur nos deux oreilles, les grues traînent leurs flèches alanguies, clignant d'un oeil aux avions de la nuit. Les grues sont prises d'insomnie.

Parfois de désespoir, de vieilles grues se laissent choir, emportant avec elles leurs hôtes humains. Les tempêtes les bousculent. Les tempêtes les chavirent. Les tempêtent les terrassent. Elles s'abandonnent et nous emportent. Elles nous laissent tomber dans notre faim de murs, de tours, de maisons, de vies fraîches en béton neuf.

Les grues s'ennuient, ne dorment plus, et sans elles nous ne saurons plus nous construire !


A murs, grues et béton


Voilà ce que je devais vous dire. Nous devons nous humains, pour notre salut, fournir à nos grues jaunes, blanches et rouges des distractions. Ca urge ! Avant que les grues pètent un câble et nous dévorent sans discernement, cadres blancs et ouvriers bleus. Avec ou sans casque, on paiera le prix fort.
Elles pourraient bien aussi décider d'un coup de tête, de se casser, de se carapater comme ça. Direction leur planète. Elles laisseraient nos ciels vides et nos banlieues abandonnées. Sans l'effervescence immobilière appelée par l'espace sans limite de l'autour. Faisons quelque chose pour les grues ! Décorons les, offrons leur des écrans plats de mille pouces, avec des feuilletons de grues amoureuses, de grues qui courent après les méchants, de grues qui baisent sauvagement, de grues drôles qui se racontent des blagues de chantier ! Diffusons à leur sommet des opéras rock qui swinguent ! Elles aiment ça quand ça balance ! Aimons les grues ! Aimons les grues ! Vivent les grandes grues jaunes qui girent dans les ciels de banlieue !


vendredi 2 septembre 2011

La jolie houri du Monoprix


Quand je l'ai vue les deux-trois premières fois, nous étions encore en hiver et elle portait un col roulé vert en laine à grosses mailles. Je passais, je la remarquais. On était samedi matin, ma tête était pleine de coton, ma bouche pâteuse et mon estomac gargouillant. Et surtout je pensais encore à une autre. Mais au fil des semaines, je m'étais mis à m'imaginer assez d'audace pour l'aborder, cette petite mignonne. 

La houri, une brune de paradis


Une brune avec des taches de rousseur sous les yeux. Est-ce que ça existe ? Il faut croire. Quand il faut choisir au Monop, la tête épaisse des excès de la veille, la bonne file. Je ne traîne jamais pour faire ces foutues courses, alors qu'à la fois j'ai tout mon temps pour m'écarter de la routine. La queue qui ira le plus vite ? Pas de petite vieille. Une caissière expérimentée qui ne jacasse pas avec les clients. Mais là je m'en fiche pas mal d'optimiser mon attente à la caisse. Sur d'autres critères, je me place devant la numéro 3. Jeune et brune, très brune. Des yeux de jais derrière des lunettes à bords épais. Et une poitrine qui doit faire dans les 85C sous son t-shirt blanc. De longs cheveux bouclés, une vraie crinière, et un sourire pailleté de ces fameuses taches de rousseur. J'ai tout mon temps pour l'observer, lui trouver assez de timidité, cette dose de maladresse qui si souvent fait vibrer ma corde sensible. Je suis touché aussi par la musique des rires qui s'échappent, lorsqu'elle passe les achats sur le faisceau du lecteur de code barres. Le mot de houri me vient sur les lèvres (et sur les rêves aussi ; empoisonné de la lecture d'un Nicolas Bouvier, je me crois grand voyageur de quartier)... quand j'attrape le blanc de ses yeux relevé par son teint mat. J'ai cru entendre qu'elle s'appelait Samia.

Quand vient mon tour, elle sourit elle me jette des petits regards elle glousse elle pouffe elle maintient le contact visuel. Je lui ai fait un compliment sur sa nouvelle coiffure l'autre jour. Depuis elle me reconnait, montre un embarras joyeux. Elle fait des mines et c'est ravissant. C'est le printemps et mon détecteur d'attraction plus fonctionnel que jamais fait tilt tilt TILT, mais oh TILT que je te dis. Seulement voilà...

Seulement...


Seulement, mes yeux glissent et reglissent sur ses avant-bras dénudés. Leur couverture pileuse reflète cette longue chevelure ondulée qui me plaîsait tant. Ce sont de longs fils de laine noire qui font de mes propres bras ceux d'un adolescent pré-pubère. J'exagère, je m'en veux. Inutile de se voiler la face. C'est trop tard! Ma réaction est automatique, instinctive, inévitable.

Tous les samedis, je retourne plein d'espoir à la caisse 3. Tous les samedis, dans le coltard, je me dis cette fois, je vais faire un pas. Un de plus. Elle aura plus ces poils sur les bras, c'est sûr j'avais du mal voir. Hélas ô grand hélas tel Sisyphe qui benêt voit rouler pour la dix milliardième fois sa pierre du haut du sommet je repars, sacs en plastique à la main, avec en guise de souvenir une des ces boules à neige : sourire radieux, regard allumé de la jolie caissière. Et en guise de flocons, une pluie de poils noirs. Je secoue la tête et tout redevient sombre. A la semaine prochaine, Samia. Je ne suis pas fier de ça, mais t'as vraiment trop de poils pour moi.

jeudi 25 août 2011

Le barbecue au bord du fleuve


Un lundi de juillet, j'invite quelques collègues et amis aoûtiens (voire pour certains, carrément abstinents des vacances) à profiter de ce grand luxe de ma vie banlieusienne : le barbecue. Une astuce aussi pour appâter les habitants du petit P. jusqu'à ma capsule spatiale au bord de la N7.

Derrière la maison


Tout doit tenir dans une cour grande comme un mouchoir de poche, derrière une véranda aux carreaux verts cassés. Le long du grillage, entre la rue et la cour s'étend une bande de terre, de pas plus d'un mètre de large sur quatre de long, que ma voisine Mélanie a transformé en jardin avec un petit j. Quand même, les pieds de tomate y poussent comme des haricots magiques, s'étirent vers les nuages le long des piquets de fer. Les fruits commencent à rougir et l'on en cueille une poignée, assez pour accompagner les premières gorgées de bière.

Ils arrivent, les gens. Les yeux qui roulent en découvrant l'arrière de cette maison à la façade noircie par les gaz d'échappement. Chacun dépose sa contribution, contenue dans un sac aux couleurs du super choisi : des bières allemandes, de la bidoche pour les brochettes, des merguez, des légumes (tiens pourquoi pas), des fraises, encore quelques merguez.

Je retrousse mes manches, il faut y aller. Les pépites de charbon de bois tintent en chutant du sac. Là, ça devrait suffire. Je souffle. J'attrape le calendrier géant qu'on m'avait offert en janvier et dont je viens enfin de trouver l'utilité : sous l'action de l'éventail improvisé, la braise rougit, contamine chaque morceau de charbon. C'est parti. J'intronise T. pour qu'il tienne le feu pendant que je me démène ailleurs, une bière à la main que je pose, perds de vue, confonds avec la bière d'un autre. Mais ça coule, pareil.

La Paulaner dans le gosier, on commence à mâcher les brochettes presque cuites ou déjà un peu charbonnées. N. les a patiemment épicées au Ras el Hanout et aux herbes. Ca n'empêche pas la moutarde ou le ketchup, entre deux tranches de pain. T., qui réserve ses pulsions agressives pour les végétaux, se contente de poivrons, de tomates et de champignons.

Un peu coincés sur la surface de béton, on tient tous là au prix de quelques acrobaties, à se raconter doucement nos vies sociales entre deux chips, nos boulots, nos errances, à rouler des épaules ou gonfler la poitrine, à se sourire et se blaguer. Dans le cocktail bien tassé, on trouve une famille coréenne, un teuton mangeur de légumes, une nordiste fraîchement arrivée de Belgique, une chercheuse marocaine, une voisine de Perpignan...et ma pomme. Pour ce petit monde, ça sent comme les vacances, juste là au bord du fleuve de bagnoles. Et pour ne pas l'entendre le flux automobile, on a sorti le radio-cassette à la papa qui crache du jazz bien cool.

Le chat des voisins


Par l'odeur de merguez alléché, voilà le chat blanc des voisins qui ramène son museau taché de noir. Il se faufile dodu mais souple sous le grillage. Ses miaulements réclament son dû, sa part de félin parasite. Oh la mauvaise surprise : les enfants de Mowgli lui mettent sous le nez des morceaux de champignon grillé. Alors il fait la moue, se cache sous une des chaises en plastique blanc et commence à sortir les griffes. Ca suffit pour que les petits d'homme se décident à fiche la paix au fauve.

La nuit est bien tombée maintenant. Sans s'en rendre compte, on a laissé les braises refroidir et les quelques brochettes restantes sur la grille ne sont que tièdes. Un sweater sur le dos, on goûte en silence les fraises trempées dans le sucre. Quelles sont les meilleures ? Celles du Franprix ou la production locale, juste à nos pieds ?

Le parisien se dit qu'il va devoir rentrer. Il lève le nez au ciel, entre les fils électriques. “Dis donc, on voit les étoiles, ici.”.

mardi 16 août 2011

La branche invisible


Coincée à la fourche du métro à Pont-De-Craie, entre les branches bleue et jaune vers les villes orbitales, elle attend. Valise à roulette à la main.
Cette femme scrute dans le tunnel l'arrivée de la rame pour la troisième branche. Celle qui la sortira de cette galère. Cette troisième branche incolore, invisible. Ce train qui doit venir, qu'on attend comme Godot. Il ne devrait plus tarder.

Je l'ai connue allongée sur le muret carrelé entre deux chaises baquets pvc. Recroquevillée sur des journaux qu'elle avait étalés, dont la couverture titrait : Objectif Emploi.fr

Attendre


Depuis un mois cependant, je la retrouve, toujours dans cette même station mais d'apparence changée. Son visage n'est plus crispé de douleur comme avant, ses vêtements sont propres et sa coiffure soignée. Une paire de lunettes lui tient les cheveux et elle semble apaisée, à pousser une petite valise à roulettes par le bras téléscopique. Elle ne s'assoit même pas entre les chaises de plastique, sur les carreaux à la propreté douteuse. Non, elle attend patiemment. Un métro arrive dans la station. Sur son flanc, c'est le panneau jaune du Soulis qui est allumé. La moitié des places assises sur le quai se vident alors de passagers qui entrent dans la rame. Elle s'assoit sur un siège libéré. C'est le balai usuel ici : ceux qui restent attendent pour l'autre branche. Et c'est comme ça que la dame à la valise passe inaperçue, une passagère comme une autre, sans besoin d'alibi pour sa présence ici.

Fermer les yeux, se boucher les oreilles, se pincer les narines et se taire


Tous les jours je passe par cet arrêt, ce quai, pour rentrer chez moi. Quand je vois une femme d'âge mûr à la rue comme ça (et ce n'est pas si rare dans P.) je pense parfois que je pourrais la connaître. Qu'elle pourrait faire partie de ma famille. Qu'il suffit de si peu. J'en ai vu déraper, se rattraper de justesse, plus d'une fois.

J'aimerais lui parler, mais de quel droit ? Avec la seule légitimité de ma curiosité ? Pour connaître son prénom, le son de sa voix – elle n'ouvre jamais la bouche. Entendre une histoire possiblement dure ou cruellement banale. Et finir par soupirer, lui donner une tape sur l'épaule : “Je suis vraiment désolé. Je ne peux rien pour toi.”. La curiosité satisfaite, des notes mentales ou écrites pour pondre une note de blog ou alimenter la conversation à la pause café, s'impatienter... “Maintenant je vais rentrer, je viens de télécharger un film culte : Les Amants du Pont Neuf, tu connais ? Avec Juliette Binoche ? Une histoire d'amour romantique, tellement belle de deux paumés sans abri. Et un magnifique feu d'artifice.” Et puis ciao.

La revoir les jours suivants, ne pas oser ne pas lui dire bonjour, lui demander des nouvelles. Ne pas en entendre de bonnes. Bref, devoir assumer un peu de tout ce merdier. Au lieu de glisser, trop heureux d'échapper à ces sorts peu enviables. Et quand même, parce que ça travaille, être tenté par la facilité. Insensiblement, choisir le côté du quai où elle n'est pas. Voire changer de station. Ne plus vouloir s'arrêter en tout cas. Passer son chemin, comme tout le monde.

jeudi 11 août 2011

La médiathèque Gorki


Flambant neuve toute en bois clair, elle fait l'angle avec le marché couvert. Sur la place, des travaux que je n'ai pas vu progresser d'un iota depuis mon arrivée. Seul changement depuis novembre dernier : des dessins et photos décrivant le futur radieux de l'endroit décorent les palissades. On est quoi, cinq ou six, à attendre l'ouverture de la médiathèque, assis sur le muret, dos aux tôles ondulées et face à la porte, une après-midi ensoleillée de la mi-juillet. Pendant ce temps, des sales gosses balancent mammouths et cobras qui explosent devant nous, avant de déguerpir sur leurs BMX. Les petits cons.

Luxe, calme et volupté


A quatorze heures trente, on ouvre. Passé une espèce de sas où s'affichent les animations du lieu, une porte automatique silencieuse vous laisse vous glisser par un portique dans un espace haut de plafond. Parmi les quelques visiteurs qui arrivent plus nombreux maintenant, plutôt du plus de trente ans, plutôt des femmes. Je me vois dans une autre vie ado à Bonmaure, prenant mes quartiers dans cette médiathèque lumineuse, où l'on vous accueille dans le calme, où l'on vous inscrit pour pas un rond et où les quota de livres, BD, CD, DVD me semblent plus généreux qu'ailleurs. Je flâne, j'observe un temps les employés s'affairer à trier, transvaser les ouvrages des bacs aux rayons, tapoter sur leurs claviers avec un calme de moine copiste. Je constate une ou deux minutes que le cliché de la documentaliste à lunettes fonctionne très bien sur moi. Ca ne laisse pas de m'étonner, comme je tombe facilement dans ces séductions prêtes à consommer. Surprise, la myope bat des cils par dessus ses verres. Alors je monte à l'étage.

Pyongyang


Là, je cherche en vain 'Pyongyang' de Guy Delisle dans les stocks fournis de BD. Si je me souviens de ce qu'on m'a raconté, c'est l'histoire d'un dessinateur français, en voyage en Corée du Nord pour son boulot. Car, paraît-il, on y fait faire le travail de petites mains pour les animations. Un coup d'oeil à la base bibliographique sur un des terminaux : non, ils n'ont pas. C'est là que je me souviens... Quelqu'une m'a dit qu'on pratiquait la censure dans le choix des bouquins à Bonmaure, à cause de la municipalité communiste. Des histoires tout ça.



Voilà le choix est fait, je redescends de la mezzanine vers le comptoir de prêt. J'y crois à peine : quelques coups de douchette sur les codes barre et je repars mon sac à dos plein de BD (notamment Klezmer de Johann Sfar), de DVD (Hou Hsiao Hsien, je découvre), de CD (Wu Tang Clan, sous l'influence de mon beau frère). Et avec ça un roman, un seul (que j'oublierai vite). Pas d'images : je me connais je risque de mettre des plombes à le lire, de ne jamais le rendre, de le perdre possiblement, de me faire ficher par les bibliothécaires. Qui pourrait vouloir ça ?

Quelle belle pêche quand même. Sur la place le soleil donne encore sur la ville vide. Sous mon crâne aussi, c'est vide, délicieusement vide. Je n'ai rien à faire, qu'à traverser cette place de village éventrée par les projets municipaux. Et peut-être me taper une bonne BD à l'ombre, comme si j'avais quinze ans. La bière fraîche en plus à la main. Quand d'un coup ça détale et ça crie. Et re : Bonmaure résonne sous les coups des pétards. A l'heure de la sieste !

mardi 9 août 2011

Le hackerspace : (1) première expédition dans la ZAC


On m'avait parlé de ces créatures. Etranges animaux dont les orbites luisent de diodes clignotantes. Des types pas lavés tous en t-shirts noirs trop grands. En cheveux longs et petites lunettes qui parlent en l33t (une langue de techos) et qui refont le monde en loussedé dans les réseaux cachés du regard du Big Brother. Frère geek ou nerd, on allait ce soir-là te dénicher dans ta tanière. Un squat où l'on bricole des PCs et des robots, au milieu d'une zone industrielle du pourtour Sud. Avec moi, j'avais entraîné deux lascars curieux de tout, un peu geekos eux-mêmes, étonnés de cette idée de soirée dans le no-man's land d'une zac de banlieue.

Des boulevards vides sous un ciel trop vaste


Au sortir de la gare de RER, il faut bien marcher un quart d'heure avant d'arriver au numéro indiqué. A cette heure, la zone industrielle est déjà vidée de ses acteurs. Les seules traces de vie se trouvent au Cool Kart et au PMU anonyme encore un peu plus loin, le troquet portugais du carrefour. On s'arrête cinq minutes au bar du karting, le temps de se laisser hypnotiser par quelques boucles du circuit, le nez collé à la vitre. Mais on n'est pas venu pour ça. Il faut qu'on s'aventure un peu plus vers les enclos industriels.

On longe des palissades interminables sur l'avenue désertée. Des forteresses appartenant à de grosses machines à fric, certaines cotées au CAC40. Notamment, le bastion grillagé, vidéo-sécurisé d'une entreprise pharmaceutique bien connue.

Voilà ce qu'on cherche : un entrepôt abandonné, un peu plus loin en suivant un chemin boueux.
Une radio crachouille de la musique et laisse filer un rai de lumière au travers de la première porte. Je m'avance et un barbu souriant vient vers moi une bouteille de bière à la main. J'aperçois derrière lui un canapé défoncé et tout un fatras de toiles et de papiers. C'est un atelier d'artiste. Et sans nous inviter à nous joindre à eux, il me conseille la porte à côté.

On pousse donc un peu plus loin, tâtonnant pour trouver la porte d'entrée du hackerspace. On la repère, en bas d'un escalier discret à la rambarde déglinguée. Personne. On se regarde. Il est un peu tôt encore. Je répète que je n'ai pas pu les joindre, les gaillards. Pas de réponse à mon e-mail leur demandant s'ils seraient là ce soir, comme tous les jeudi. On a un pack de binouzes à la main, alors je propose de poursuivre l'exploration en attendant. De faire le tour du bâtiment.

Les sabbaths secrets des codeurs


Derrière l'entrepôt, les herbes ont envahi le terrain vague. Une terrasse improbable faite d'un seul bloc de béton s'y élève légèrement au-dessus des palissades graffitées alentour. On remarque un barbecue mangé par la rouille. Il laisse deviner la possibilité de sabbaths insoupçonnés des gens du commun. De ceux qui ne mettent pas les pieds à l'extérieur du périph, comme de ceux qui, employés de la zone, sont rentrés chez eux à cette heure.

L'heure tourne et les bières roulent, pas un hacker en vue. On reviendra un autre jour...le train nous attend sous un ciel de traîne rougissant que l'objectif de T. attrape.

Clic. Reclic. Il ouvre les bras : “Eh mais c'est magnifique ! Regardez-moi tout cet...espace !”.

vendredi 5 août 2011

Le mystère des auberges coréennes: (2) le monde caché du matin calme

Vous ne les remarquerez sans doute pas, quand vous passerez égaré dans Bonmaure. Ces signes cabalistiques verts sur de petits panneaux blancs, disposés près de la sonnette ou plus rarement, peints sur les volets du garage. Ils sont discrets et indéchiffrables...visibles aux seuls initiés.


Ces signes-là sont des caractères coréens. Des signes auxquels l'oeil de l'habitant du Sud n'est certainement pas aussi habitué qu'à ceux des idéogrammes chinois, omniprésents depuis Chinatown et qui se raréfient lentement en s'éloignant de P. Ils indiquent la présence dans telle ou telle maison d'un gîte à destination de leurs compatriotes. Des touristes venant de la péninsule pour visiter la Pheu-lan-seu.

Et, non, ce ne sont pas les amicales communistes locales qui, en souvenir du temps des copains au petit père des peuples, hébergent des touristes de Pyongyang (la capitale de la Corée du Nord, exotique dictature stalinienne, à visiter rapidos). Pour commencer, on ne voit pas comment ils pourraient arriver jusqu'ici ceux-là, coincés qu'ils sont par l'étreinte aimante de Kim Jong Il – dans la famille Kim, je demande le fils-.


En réalité, d'après mon ami Mowgli, ce sont des associations liées aux églises évangélistes, très puissantes en Corée du Sud, qui gèrent ces auberges clandestines. A nos yeux.

D'après ce que j'en vois, beaucoup de ces sud-coréens sont...des sud-coréennes. Ou c'est peut-être moi qui filtre... Des étudiantes qu'on entend venir du coin d'une ruelle derrière un pavillon. Leurs valises à roulettes cuicuitent dans la côte à la recherche d'un de ces refuges discrets. Elles ont l'air inquiètes et pressées, les yeux rivés sur une feuille A4. Où elles déchiffrent le plan imprimé à Séoul et soigneusement protégé d'une pochette plastique.

Je souris à l'idée que dans quelques années, leur souvenir du voyage à P. sera associé à Bonmaure. Avec son fleuve de voitures et ses grues qui veillent au grain sur le troupeau de pavillons. Avec ses rues abandonnées dès huit heures du soir. Oui où même les kebabs hésitent à tirer le rideau dès la fin de l'après-midi. Avec son drive-in Mac Do à la française, pour se rattraper. Et surtout, surtout, avec ses matins calmes à l'écart de P....