dimanche 17 juillet 2011

La laverie de madame Amina

Le dimanche après-midi, je viens rendre visite à la laverie de madame Amina. Parce que je n'ai plus de chaussettes propres. Et que j'ai envie d'un café, de me poser avec un bon bouquin au milieu de la pièce. Avec en fond sonore la musique kabyle, les discussions interminables de madame Amina avec l'autre madame Amina, la poissonière. Et le ronron des machines qui cyclent. D'habitude, les lavomatics font partie de ces lieux de l'anonymat. On y attend quelque fois un peu, le temps d'un séchage. On n'y fait rien. Entre les machines à laver, à sécher, et la machine à avaler les billets de banque, on ne sait pas qui est qui. En silence on trie chacun nos chaussettes, caleçons, petites culottes et soutiens-gorge multicolores. Des neufs et des râpés. D'un oeil on fait un cliché de cette fille, là, étudiante coréenne en vacances à Paris. Ou cet autre, incapable de plier correctement son linge et qui au lieu de cela enfourne pêle-mêle chemises, pantalons, sous-vêtements dans de gros sacs informes. “Ah mais elle vous a pas appris votre femme ?” Un geste et elle comprend. “Elle est partie ? C'est la vie ça. Inch Allah vous allez trouver une autre bientôt”.



Elle ne parle pas avec tout le monde madame Amina. Et à vrai dire, elle parle de moins en moins. Au début, elle accueillait les clients avec le sourire, un “nihao” aux chinois et les salamalecs de coutume aux maghrébins. Et à moi, une attention qu'on aurait dit que j'avais une deuxième maman à Bonmaure. Seulement ça a changé. Elle a mis le voile plus souvent. Elle s'est tue.

Auparavant, on trouvait toujours dans ses jupes sa fille Fadia, quatre ans. La gamine passait son museau de souris dans l'entrebaîllement de la porte du fond. Ah! Elle avait repéré un camarade de jeu : moi, assis à la table couverte d'une nappe en nylon. Alors elle venait coller sa petite tête tout près pour chuchoter un : “tu veux jouer avec moi?”. Là on pouvait bien essayer de dire non...pas facile. Et si on craquait, elle sortait illico ses jeux de cartes et parfois ses poupées.

Mais je ne vois plus Fadia. Ou alors, si elle s'échappe de la porte du fond, on la sermonne vertement pour qu'elle rentre ou qu'elle aille jouer dehors avec sa trottinette Barbie. Bref, il faut qu'elle débarasse le plancher. Ou tout de suite, il s'énerve.

Lui, c'est son père. Un grand mutique tout sec aimable comme une porte de prison. Cela contraste avec la rondeur affable de madame Amina. Elle qui déjà une fois a eu la gentillesse de racommoder les ourlets défilés de mes pantalons de célibataire. Entre madame Amina et son mari bourru se cache, mal, un petit drame. Ils discutent en arabe, moi je ne comprends rien, sinon l'alternance des caresses et des agacements. On sent bien que quelque chose ne colle pas, mais on reste silencieux et on regarde le linge tourner dans le séchoir. Quand il est absent elle vous parle, elle discute volontiers, de tout et de rien. Mais s'il est là à lui poser l'oeil noir, elle vous fait signe qu'elle doit se taire. Son foulard sur ses cheveux se fait plus serré. On dirait qu'il lui noue la langue ce bout de tissu. Ces jours-là, pas moyen de lui tirer un mot.

Alors je comprends. Je bois mon café. Je remets une pièce pour faire sécher mes chaussettes. Et je lis en silence une nouvelle histoire du Hodja, en me demandant ce qu'il aurait fait lui, l'imbécile espiègle et génial.

1 commentaire:

  1. Le lavomatic de l'amour

    Une bien-aimée demande à son amant :
    - O mon ami ! Tu as cotoyé beaucoup de lavomatics lorsque tu étais seul. Dis moi celui que tu péfères parmi tous ?
    - C'est le lavomatic où habite ma bien aimée. Bien qu'il soit petit, il nous semble le plus vaste.

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