mardi 16 août 2011

La branche invisible


Coincée à la fourche du métro à Pont-De-Craie, entre les branches bleue et jaune vers les villes orbitales, elle attend. Valise à roulette à la main.
Cette femme scrute dans le tunnel l'arrivée de la rame pour la troisième branche. Celle qui la sortira de cette galère. Cette troisième branche incolore, invisible. Ce train qui doit venir, qu'on attend comme Godot. Il ne devrait plus tarder.

Je l'ai connue allongée sur le muret carrelé entre deux chaises baquets pvc. Recroquevillée sur des journaux qu'elle avait étalés, dont la couverture titrait : Objectif Emploi.fr

Attendre


Depuis un mois cependant, je la retrouve, toujours dans cette même station mais d'apparence changée. Son visage n'est plus crispé de douleur comme avant, ses vêtements sont propres et sa coiffure soignée. Une paire de lunettes lui tient les cheveux et elle semble apaisée, à pousser une petite valise à roulettes par le bras téléscopique. Elle ne s'assoit même pas entre les chaises de plastique, sur les carreaux à la propreté douteuse. Non, elle attend patiemment. Un métro arrive dans la station. Sur son flanc, c'est le panneau jaune du Soulis qui est allumé. La moitié des places assises sur le quai se vident alors de passagers qui entrent dans la rame. Elle s'assoit sur un siège libéré. C'est le balai usuel ici : ceux qui restent attendent pour l'autre branche. Et c'est comme ça que la dame à la valise passe inaperçue, une passagère comme une autre, sans besoin d'alibi pour sa présence ici.

Fermer les yeux, se boucher les oreilles, se pincer les narines et se taire


Tous les jours je passe par cet arrêt, ce quai, pour rentrer chez moi. Quand je vois une femme d'âge mûr à la rue comme ça (et ce n'est pas si rare dans P.) je pense parfois que je pourrais la connaître. Qu'elle pourrait faire partie de ma famille. Qu'il suffit de si peu. J'en ai vu déraper, se rattraper de justesse, plus d'une fois.

J'aimerais lui parler, mais de quel droit ? Avec la seule légitimité de ma curiosité ? Pour connaître son prénom, le son de sa voix – elle n'ouvre jamais la bouche. Entendre une histoire possiblement dure ou cruellement banale. Et finir par soupirer, lui donner une tape sur l'épaule : “Je suis vraiment désolé. Je ne peux rien pour toi.”. La curiosité satisfaite, des notes mentales ou écrites pour pondre une note de blog ou alimenter la conversation à la pause café, s'impatienter... “Maintenant je vais rentrer, je viens de télécharger un film culte : Les Amants du Pont Neuf, tu connais ? Avec Juliette Binoche ? Une histoire d'amour romantique, tellement belle de deux paumés sans abri. Et un magnifique feu d'artifice.” Et puis ciao.

La revoir les jours suivants, ne pas oser ne pas lui dire bonjour, lui demander des nouvelles. Ne pas en entendre de bonnes. Bref, devoir assumer un peu de tout ce merdier. Au lieu de glisser, trop heureux d'échapper à ces sorts peu enviables. Et quand même, parce que ça travaille, être tenté par la facilité. Insensiblement, choisir le côté du quai où elle n'est pas. Voire changer de station. Ne plus vouloir s'arrêter en tout cas. Passer son chemin, comme tout le monde.

1 commentaire:

  1. Coucou Youri!
    U are you?
    Tu nous manque
    bizes

    nico-miaou H(il)n'est-pas figer

    RépondreSupprimer