samedi 30 juillet 2011

Bonmaure-sur-mer

Quand Bonmaure prend des allures de station balnéaire...un dimanche où ça cogne. Quand surprises par l'été hâtif, les rues se taisent cuites au soleil de mai... Et que l'on prend la poussière des travaux alentours pour du sable. Il vient certainement de la plage ! Juste au coin de cette ruelle. Celle-ci ou celle-là.

En terrasse


Les bazars indiens ont sorti leurs pacotilles de plastique multicolore. On croit y reconnaître des râteaux et des pelles et, suspendu à l'aubette, un cerf-volant à tête de Mickey. Sur les terrasses, ça se confirme : les tables bleues en PVC Oasis et les parasols Orangina sont de sortie. Moi, je marche depuis la capsule, en direction de la piscine, traînard et insouciant. Dans Bonmaure assoupie l'après-midi s'étire, alors que les effluves des barbecues finissent de s'évanouir.

Quelques murs acceptent d'accompagner mon trajet de leur ombre. Trop content, je file doux. Ici en orbite, le ciel est plus vaste et le soleil sait y prendre ses aises. Les chats le savent et attendent, ronroflant dans les haies que le soir ouvre la chasse à la souris. Pas un à cette heure. Ce qui fait de moi le seul spectacle pour les turcs à casquette, assis à siroter le café sous les parasols.

La piscine Baïkonour


On se rejoint enfin entre pélerins à serviette et sac de sport, arrivé aux abords de la piscine. On se désape en moins de deux et l'on change de monde. Là au centre aquatique Baïkonour, on décolle les paupières pour mater des bombinettes blacks au bord du bassin découvert. Juste au milieu des barres, c'est l'Aqualand version soviet soft. Les mectons gringalets comme les bouffeurs de fonte s'huilent la rétine et roulent des mécaniques devant les grappes de filles. Elles, les petites femeus du quartier, elles se montrent en sourire et gloussantes, à faire trempette ou bien à se faire frire les formes au monoï. De temps en temps, on se fait quelques longueurs, pour épater. Ne serait-ce que deux fois les cinquante, à fond de crawl.

En contrebas, c'est différent. C'est la famille tu vois. Tout le monde posé tranquille sur les transats ou sur le gazon. A regarder glisser les gosses du grand toboggan à flotte. Pas de chouchous ! chouchous ! Beignets ! Non. Mais là-bas au fond, on se paye des petits voyages au stand de crêpes et de glaces. Presque tout comme en vrai. Et même juste en face, les pieds dans le sable doré, la partie de beach-volley.

On sort de là comme d'une virée à La Baule, la galère des embouteillages en moins. Il faut juste ajuster les Ray Bans pour viser le ciel à la verticale. Histoire de ne pas attraper dans le paysage les barres HLM. Les blocs de béton blancs et bleus qui nous rappellent qu'on n'a pas réellement échappé à la gravité.

En tongs, short et t-shirt on revient de la piscine les cheveux encore mouillés, accompagné d'un halo humide et chloré. Sans la zonmé à l'île de Ré, paisibles et heureux de notre existence périphérique.






mercredi 27 juillet 2011

L'Institut Robert Brulais. Ou IRB.


Une masse sombre masque le soleil sur le parc des Joncs Soufflés. Amarrée juste en périphérie de Bonmaure, elle semble respirer du souffle rauque et régulier d'un respirateur artificiel. Ce vaisseau immobile et tragique, c'est l'Etoile Noire du centre de recherche contre le cancer. L'IRB ou Institut Robert Brulais. Faisant face au cratère vert du site archéologique, au coeur du parc, les hauts immeubles rectilignes engloutissent la lumière et s'imposent en silence. Pas de panneau géant indiquant la nature du lieu. Pas de fléchage inutile dans les rues adjacentes qui rappelleraient sa proximité. Malgré les formes oblongues de la chose qui mangent le paysage, tous à ses pieds font semblant de l'ignorer. Ils s'adonnent à courir encore un peu, à cultiver des tomates dans les potagers. Ils prennent les restes de soleil dans les chaises longues installées au milieu des carrés de jardins ouvriers, un oeil endormi sur leurs cultures, l'oreille bercée par le chant de l'autoroute A77.



Pauvreté et maladie


J'étais venu une première fois il y a quelques années, pour rendre visite à Y., qui finissait sa thèse sur la maladie et la pauvreté. Où est-ce qu'il en était à ce moment-là ? La pauvreté était une maladie. La maladie, un appauvrissement. Les deux peut-être ? Ou ça n'avait rien à voir... Je ne comprenais déjà pas grand chose à rien. Toujours est-il que la recherche contre le cancer fournissait une partie de son financement et qu'il se retrouvait là, sur le vaisseau amiral de la lutte contre le corps qui déraille. Contre le corps qui marche trop bien et donc de travers. Ca lui faisait un petit répit de se retrouver au milieu des blouses blanches, après avoir côtoyé les pouilleux, dans les foyers où l'on cache la crasse misérable qui enlaidit la grande ville. Des lieux discrets, peu signalés, en périphérie là aussi.

Respirer


Aujourd'hui j'y reviens pour y prendre un peu d'air. Pour me mettre à l'écart des particules lourdes et du cocktail de vapeurs toxiques qui émanent de la N7. De ce ruban dense entremêlé d'activités industrielles et de pavillons qui suit le fleuve routier. Parce qu'au moins là, ça ne dérange personne. Il faut que je respire, donc. Que je voie du vert, que je renifle les fleurs et le vent sans l'huile de moteur. Même entre deux autoroutes, je crois sentir mes bronches se rouvrir à transpirer dans les allées du parc.

Le caché


J'ai fumé hier. Avant-hier aussi. Oh très peu. C'est que j'ai dû acheter un nouveau cendrier. L'ancien, celui hérité de mon grand-père maternel n'a pas survécu au déménagement. Je n'ai pas gardé les morceaux. En vitesse je vous fais un dessin. Voilà c'est comme ça, un objet kitsch en céramique colorée, où l'on dépose les cendres au centre d'un plan d'eau. Aux pieds d'un pêcheur qu'on affuble d'une paille ou d'un brin d'herbe, en guise de canne. Il aimait aller pêcher mon grand-père, y passer des après-midis, pendant lesquelles moi petit garçon je m'ennuyais délicieusement. Ce n'est pas la pratique de la pêche qui l'a tué. Alors ce cendrier, c'était comme un rappel morbide, du coût d'une bouffée de mauvaise cigarette bourrée d'ammoniac. Ca ne m'avait jamais empêché de savourer le parfum d'une feuille de tabac. Mais ça me rappelait le prix de la vie.

Ca me rappellait ce qui est caché, cet envers du décor qu'on cherche à oublier. Parce qu'on a bien le droit à l'insouciance. Ou bien qu'un autre “on” cherche à nous faire oublier. Parce que "on" a des intérêts à défendre.

lundi 25 juillet 2011

Le mystère des auberges coréennes: la geste inutile du preux cosmonaute


Ca a commencé comme ça : un matin au métro Jean-Jacques Rousseau, une asiatique qui tire à bout de bras une énorme valise, encombrée par ailleurs de cabas estampillés Vuitton, Prada et consorts. Comme le train arrive la voilà qui panique, son appareil photo lui saute des mains telle une savonnette.
Un jeune type ramasse le numérique et lui tend avant de monter dans la rame. Sourire aux lèvres, je viens vite-vite et lui propose mon aide, empoignant d'office sa valise pleine à craquer. Ouf. La main devant la bouche, gloussant des remerciements confus, elle continue à s'affoler une fois hissés dans la rame. Je la trouve belle avec ses longs cheveux ébouriffés. Ces attitudes orientales faites de précautions dont on joue pour dire sans en avoir l'air...me ravissent. Il faut savoir lire un sourire interrompu d'un éventail de doigts fins.

Pour cette étudiante, c'est la panique. Elle veut savoir l'heure qu'il est, scrute affolée le plan de réseau minus juste au-dessus d'une dame en tailleur un rien vexée qu'on zyeute le haut de son crâne. Moi, tout sourire : “Where do you come from?”. Elle vient de Corée. Comment dit-on “Olala” en coréen ? Son avion décolle à midi de Roissy. Et il est déjà dix heures. Elle m'explique qu'elle est sortie hier, très tard. Et qu'elle a carrément oublié de se réveiller ce matin, dans son auberge de jeunesse à Bonmaure. C'est à dire à l'extrémité opposée de l'aéroport. Qu'est-ce que je peux lui dire d'autre ? Qu'elle a peu de chance d'avoir son avion, que c'est très dommage et qu'à la fois, si elle reste quelques jours de plus je l'inviterais volontiers à dîner. J'oublie pour le dîner. Peut-être en taxi ? Suggère-t-elle. Je hausse les épaules, je ne veux pas la contrarier. Elle peut toujours essayer. Alors, il faut descendre ici!
Vite!

Olala. On court, je descends avec elle. Nous sommes maintenant dans la ville la vraie, là elle devrait pouvoir attraper un taxi. Ou un missile sol-sol. Ou un tapis-volant. Les muscles de mes bras se tendent joyeusement, à soulever la valoche bourrée j'en suis sûr de souvenirs pour toute la famille. Et sûrement aussi de toutes sortes de fringues imprégnées du parfum érotico-chic de la ville de l'amour et de la mode. Sur le boulevard, je la rassure. Je contiens mes airs rigolards, appelle un taxi qui ne tarde pas. Elle me courbette des merci, s'engouffre dans la voiture et s'envole dans un nuage de fumées carbonées.

Voilà. J'ai fait l'employé buissonnier pour mettre dans un taxi une touriste coréenne jolie comme un coeur. Qui va manquer son vol pour Séoul. Et que je ne reverrai jamais. Encore une journée de faite pour un cosmonaute idiot.

dimanche 17 juillet 2011

La laverie de madame Amina

Le dimanche après-midi, je viens rendre visite à la laverie de madame Amina. Parce que je n'ai plus de chaussettes propres. Et que j'ai envie d'un café, de me poser avec un bon bouquin au milieu de la pièce. Avec en fond sonore la musique kabyle, les discussions interminables de madame Amina avec l'autre madame Amina, la poissonière. Et le ronron des machines qui cyclent. D'habitude, les lavomatics font partie de ces lieux de l'anonymat. On y attend quelque fois un peu, le temps d'un séchage. On n'y fait rien. Entre les machines à laver, à sécher, et la machine à avaler les billets de banque, on ne sait pas qui est qui. En silence on trie chacun nos chaussettes, caleçons, petites culottes et soutiens-gorge multicolores. Des neufs et des râpés. D'un oeil on fait un cliché de cette fille, là, étudiante coréenne en vacances à Paris. Ou cet autre, incapable de plier correctement son linge et qui au lieu de cela enfourne pêle-mêle chemises, pantalons, sous-vêtements dans de gros sacs informes. “Ah mais elle vous a pas appris votre femme ?” Un geste et elle comprend. “Elle est partie ? C'est la vie ça. Inch Allah vous allez trouver une autre bientôt”.



Elle ne parle pas avec tout le monde madame Amina. Et à vrai dire, elle parle de moins en moins. Au début, elle accueillait les clients avec le sourire, un “nihao” aux chinois et les salamalecs de coutume aux maghrébins. Et à moi, une attention qu'on aurait dit que j'avais une deuxième maman à Bonmaure. Seulement ça a changé. Elle a mis le voile plus souvent. Elle s'est tue.

Auparavant, on trouvait toujours dans ses jupes sa fille Fadia, quatre ans. La gamine passait son museau de souris dans l'entrebaîllement de la porte du fond. Ah! Elle avait repéré un camarade de jeu : moi, assis à la table couverte d'une nappe en nylon. Alors elle venait coller sa petite tête tout près pour chuchoter un : “tu veux jouer avec moi?”. Là on pouvait bien essayer de dire non...pas facile. Et si on craquait, elle sortait illico ses jeux de cartes et parfois ses poupées.

Mais je ne vois plus Fadia. Ou alors, si elle s'échappe de la porte du fond, on la sermonne vertement pour qu'elle rentre ou qu'elle aille jouer dehors avec sa trottinette Barbie. Bref, il faut qu'elle débarasse le plancher. Ou tout de suite, il s'énerve.

Lui, c'est son père. Un grand mutique tout sec aimable comme une porte de prison. Cela contraste avec la rondeur affable de madame Amina. Elle qui déjà une fois a eu la gentillesse de racommoder les ourlets défilés de mes pantalons de célibataire. Entre madame Amina et son mari bourru se cache, mal, un petit drame. Ils discutent en arabe, moi je ne comprends rien, sinon l'alternance des caresses et des agacements. On sent bien que quelque chose ne colle pas, mais on reste silencieux et on regarde le linge tourner dans le séchoir. Quand il est absent elle vous parle, elle discute volontiers, de tout et de rien. Mais s'il est là à lui poser l'oeil noir, elle vous fait signe qu'elle doit se taire. Son foulard sur ses cheveux se fait plus serré. On dirait qu'il lui noue la langue ce bout de tissu. Ces jours-là, pas moyen de lui tirer un mot.

Alors je comprends. Je bois mon café. Je remets une pièce pour faire sécher mes chaussettes. Et je lis en silence une nouvelle histoire du Hodja, en me demandant ce qu'il aurait fait lui, l'imbécile espiègle et génial.